« Réinventer la route » – Plénière d’ouverture des 28es Rencontres de Vélo & Territoires
La route est un support de mobilité déjà omniprésent pour relier efficacement les territoires et les Français. Dans un contexte de rareté des ressources budgétaires, quels choix stratégiques les collectivités doivent-elles envisager pour optimiser l’utilisation de leur voirie ? Comment réinventer la route pour faciliter des mobilités décarbonées ? La question qui mobilise grandement les départements, communes et intercommunalités, vient en écho au débat plus large du financement des infrastructures de mobilités. Elle était posée en introduction des 28es Rencontres Vélo & Territoires à Vannes en novembre 2024.
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D’abord les chiffres : 1,1 million de kilomètres de routes en France sont gérés à 98 % par les départements, les communes et les intercommunalités. Si 30 % du trafic se concentre sur les routes nationales et les autoroutes, tout l’enjeu est de réinventer les routes départementales et communales en les rendant plus compatibles à un usage partagé, actif et moins dépendant aux voitures individuelles (covoiturage, véhicules intermédiaires), le tout dans une séquence de rareté budgétaire et climatiquement sensible (sobriété foncière, biodiversité, lutte contre l’artificialisation des sols obligent). Le Morbihan, par exemple, vise 250 km de pistes cyclables sécurisées d’ici 2034, explique Xavier Domaniecki, directeur des Routes et de l’aménagement au département du Morbihan. Le Département a pour ce faire décider de ne plus créer de nouvelles routes départementales. Il investit 8 millions d’euros par an sur l’existant, avec une priorité donnée à la sécurisation des trajets du quotidien et à la collaboration intercommunale. Concernant la méthodologie, Stéphane Chanut du CEREMA encourage à repenser la conception et l’exploitation des routes, notamment en milieu rural et interurbain, et à favoriser des aménagements différenciés adaptés aux réalités locales, par exemple en installant des séparateurs pour cyclistes sur les routes fréquentées.
Président de la commission Mobilité de l’Association des maires de France, Frédéric Cuillerier met pour sa part en avant le soutien inconditionnel de ses pairs pour promouvoir la marche et le vélo, condition sine qua non pour des villes apaisées, prudentes, décarbonées et favorisant la santé. Pour l’élu, la sécurisation des aménagements est ce qui les rend attractifs pour les communes, les intercommunalités et les départements, pourvoyeurs de 98 % des voies douces. Pour Rodolphe Gintz, directeur général des Infrastructures, des transports et des mobilités au ministère du Partenariat avec les territoires et de la décentralisation, la route, en tant que premier actif financier de l’État avec ses 250 milliards d’euros, ne peut en effet plus être centrée uniquement sur la voiture. La réglementation et la planification doivent aujourd’hui évoluer pour permettre de systématiquement intégrer la dimension cyclable à chaque nouvel aménagement.
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Pour Françoise Rossignol co-présidente du Réseau velo et marche depuis le 1er janvier 2025 et Céline Scornavacca, co-présidente de la FUB, l’idée du partage de l’espace public progresse à mesure que se poursuivent les efforts d’instaurer des villes apaisées, et que les parties prenantes se saisissent des outils techniques du type de ceux proposés par le CEREMA ou de dispositions législatives comme celles de la loi LOM. Deux écueils subsistent néanmoins : la sécurité des cyclistes et des piétons sur les routes départementales et le manque de ressources financières dont disposent les collectivités pour mener à bien ces projets. Parmi les pistes de solutions évoquées : penser global, agir local ; penser long terme ; penser concret. Et ne pas perdre de vue que « la route est un miroir de la société ». Après le temps du tout-voiture vient celui, inévitable, de la frustration face au partage mais, la transformation de la mobilité peut conduire à une société plus conviviale, sobre, connectée socialement et confiante.
Pour Jérôme Weyd, délégué général de l’Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (IDRRIM), adapter la route ne doit pas pour autant faire perdre de vue sa vulnérabilité. L’usure causée par le trafic et les intempéries est accélérée par le dérèglement climatique, et ce malgré des dotations budgétaires passées de 700 millions à un milliard d’euros pour les routes nationales. Or, hormis la SNCF qui a développé une stratégie d’adaptation, les collectivités locales sont encore mal préparées à anticiper les impacts climatiques. Pourtant, qui dit réchauffement climatique dit accélération mathématique du rythme des entretiens et donc, en période de contraintes budgétaires, besoin de financements supplémentaires. L’objectif ambitieux de 150 000 km de pistes cyclables d’ici 2035 doit s’accompagner d’une vision stratégique claire : quels axes privilégier ? Quels critères pour hiérarchiser ? L’approche actuelle repose trop sur des initiatives locales, sans vision d’ensemble ni estimation claire des coûts et délais nécessaires. Des études stratégiques tant à l’échelon national que local permettront une approche plus proactive et coordonnée.
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Ces modèles existent pourtant. Ainsi, dans le Morbihan, un guide technique cyclable hors agglomération a été élaboré en collaboration avec le CEREMA et les intercommunalités et propose des solutions pratiques adaptées aux territoires. Son objectif est d’expérimenter et de créer des aménagements cyclables fonctionnels, réalistes et accessibles, même avec des budgets limités. Innover, collaborer, ne pas hésiter à essayer des solutions low tech de type marquage au sol, bref faire preuve d’agilité et de pragmatisme est un bon point de départ, avec l’évaluation, le partage d’expériences et la capitalisation sur les bonnes pratiques comme leviers de progression.
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C’est le cas par exemple des véhicules intermédiaires (dits « Vélis ») que l’ADEME expérimente notamment dans les zones rurales ou dans celles où les vélos classiques sont limités par des facteurs comme les distances ou les dénivelés, ainsi que le développe Johana Casallas, ingénieure eXtrême Défi à l’ADEME. Partager la route sans pour autant créer d’aménagement exclusif, installer des panneaux signalétiques dans les zones de test pour informer et sensibiliser les automobilistes : là où il y a une volonté, il y a un chemin.
Cet enthousiasme global va pourtant être douché par un rappel aux grilles de lecture gouvernementales du moment. Dette publique s’élève à 3 102 milliards d’euros, conséquences des arbitrages effectués pendant la pandémie pour ,préserver l’économie et les collectivités, hausse du prix des[1] matières premières… Agitant le spectre de l’expérience grecque, Rodolphe Gintz en appelle à la nécessité de « repenser le modèle de financement des mobilités avec des sources pérennes », regrettant au passage un empilement de dispositifs existants « sans vision d’ensemble », confirmant la révision annoncée des aides globales incluant celles pour le vélo et actant la faible viabilité à terme des recettes actuelles de financement de type autoroutes ou taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Préférant toutefois retenir « le verre à moitié plein », M. Gintz rappelle que plusieurs centaines de millions d’euros sont encore prévus pour le paiement des projets en cours dans le cadre du Fonds mobilités actives, et que de nouvelles aides sont intégrées dans les contrats de plan État-Régions, pour un investissement total de 800 millions d’euros. Parmi les pistes proposées pour explorer de nouvelles pistes de financement intégrées et responsables, en alignant les objectifs locaux et nationaux : valoriser les infrastructures, non seulement en termes économiques mais aussi en termes de services à la collectivité, repenser le rôle des entreprises dans le financement des mobilités via le versement mobilités, etc.
[1] à titre de comparaison, la dette publique des États-Unis d’Amérique est de 36 000 milliards d’euros pour l’année 2024
Anthony Diao