Mobilité en territoires peu denses : relever le défi de la décarbonation
En milieu rural, 80 % des déplacements du quotidien sont réalisés en voiture. Le chiffre est édifiant. Cette dépendance a un coût et laisse sur le bord de la route une frange de la population, sans alternative ou presque face à une précarité mobilitaire qui s’accroit. Or l’urgence climatique, économique et sociale invite à agir pour inverser la tendance. Des initiatives émergent pour faire évoluer les pratiques, misant sur une approche intégrée et participative. Retour sur quelques expériences présentées en atelier à l’occasion des 28es Rencontres Vélo & Territoires.
Changer les habitudes : un défi collectif
« On ne peut pas se déplacer autrement qu’en voiture », « les alternatives, c’est un truc de bobo ». Ce discours, Isabelle Hanifi, l’a régulièrement entendu au démarrage du projet Mobilités Rurales[1] qu’elle a conduit à Lamarche. Privilégiant une approche participative dans ses travaux de recherche, la socio-anthropologue et fondatrice d’EthnoData s’est immergée dans ce petit village des Vosges pour créer du lien, au-delà des réseaux usuels. Son objectif : fédérer la population autour d’un projet de transformation des pratiques de mobilité. Pendant plusieurs mois, il a fallu acculturer, rassurer, coconstruire en s’appuyant sur les leviers et les spécificités du territoire. Le point d’ancrage ? Le collège. Un projet pilote a été lancé sur deux ans pour imaginer avec les élèves des alternatives au tout-voiture. Les participants ont peu à peu identifié des actions concrètes, comme la mise en place d’ateliers de réparation de vélos en lien avec la déchetterie locale. Résultat : des solutions durables et reproductibles, mais surtout acceptées par les habitants eux-mêmes. « Il ne s’agit pas de décréter une mobilité idéale, mais de modeler ensemble des solutions adaptées aux réalités locales ». Un travail de dentelle, du cousu-main et ce sur la durée.
De l’infrastructure aux services, un bouquet de solutions
Le sujet vélo, d’autant plus en milieu rural, doit s’appréhender de façon globale et transversale et prendre en compte les usages, les besoins et les réticences des différents publics. Plusieurs collectivités s’engagent déjà dans cette voie du sur-mesure, à travers des initiatives variées et des approches intégrées. Preuve que le développement d’une politique cyclable ambitieuse n’est pas l’apanage des grandes villes…
C’est le cas notamment de la communauté de communes Erdre & Gesvres. Pour ce bassin de 70 000 habitants, le vélo constitue un mode de déplacement à part entière. Preuve en est l’ambition fixée par la collectivité : 190 km d’infrastructures cyclables d’ici 2030 pour mailler les douze communes entre elles, relier la métropole nantaise et réduire l’autosolisme. Mais l’engagement de l’Intercommunalité en faveur du vélo ne s’arrête pas là. En parallèle, elle développe des équipements et services plébiscités par les habitants, tels que des box individuels et collectifs sécurisés aux abords des gares et arrêts de bus ou de la location de vélos longue durée. « Notre préoccupation est de toucher aussi bien les scolaires que les entreprises et le grand public avec des plans d’actions adaptés et une politique d’accompagnement auprès de chaque cible », précise Sylvain Lefeuvre, vice-président délégué aux mobilités et au développement des équipements et infrastructures. Écomobilité scolaire, plan de déplacement inter-entreprises, formation, la collectivité joue le rôle d’interface entre les différents acteurs.
Lever les freins : le rôle clé de la pédagogie
Toutes ces démarches ont un point commun : elles cherchent à dépasser les réticences culturelles et sociales liées au changement de pratique de déplacement. Dès lors, un travail de communication et de sensibilisation est nécessaire pour accompagner le développement d’infrastructures cyclables et le déploiement d’alternatives. À commencer par les écoles…
Lorient Agglomération s’est lancée dès 2016 dans l’expérimentation du programme Mon école éco-mobile avec la ferme volonté de faire évoluer les pratiques. En complément du Savoir Rouler à Vélo, un dispositif sur trois ans a depuis été mis en place pour assister les écoles volontaires vers leur plan de mobilité d’établissement scolaire. Enfants, parents, équipes enseignantes et représentants de la Commune sont associés à la démarche et des dynamiques collectives se créent. Autour d’une cartographie des déplacements domicile-travail, des marches exploratoires et des actions concrètes ont été proposées : trajets mutualisés, rue des écoles, voyage à vélo, stationnement vélo, etc. « Des résultats positifs émergent grâce à un suivi sur plusieurs années, mais ce n’est jamais gagné ! Le décalage entre le calendrier scolaire et le temps de déroulement de projet n’est pas toujours facile à articuler », souligne Céline Pincemin, responsable mobilités alternatives.
Aides à l’achat, location longue durée, convergence vélo, challenge mobilité, et bientôt une piste d’apprentissage communautaire, la communauté d’agglomération Rochefort Océan multiplie elle aussi les opérations, avec comme postulat de départ la visibilité des cyclistes : « plus on en voit, plus on peut être amené à franchir le cap », avance Manon Jephos, chargée de mission mobilités actives. Au-delà des actions de sensibilisation et des outils mis à disposition des écoles ou des entreprises, l’objectif de l’Intercommunalité est de créer du lien entre les acteurs du territoire. « Après chaque challenge mobilité inter-écoles, des directeurs d’établissements reviennent pour demander davantage de stationnement vélo ou organiser une intervention avec l’association locale », un premier pas vers une mobilité plus éco-responsable.
Rendre les alternatives visibles
Dans le Finistère, c’est le prisme de l’innovation d’usages et de services pour tous qui a été choisi par l’incubateur SNCF TECH4MOBILITY pour expérimenter des « stations rurales des mobilités » dans deux communes du Pays de Landivisiau. L’idée : ancrer de nouvelles pratiques dans l’espace public pour développer l’imaginaire et inviter au changement. Installées en centre-bourg, ces stations multimodales révèlent une gamme de services et de mobiliers ruraux spécifiques et rendent visibles des modes actifs, collectifs, inclusifs et partagés. Du covoiturage au vélo, en passant par l’autostop ou même les voiturettes sans permis, « chaque station offre un bouquet de solutions unique puisqu’elle a été construite avec l’écosystème local, et ce de façon itérative. Les maires sont devenus des ambassadeurs de la démarche », précise Caroline Guérin, responsable du design et des expériences de mobilité. Avec là encore, du cousu-main : un agent d’exploitation polyvalent est présent deux demi-journées par semaine pour renseigner la population, proposer des tours de démonstration, faire prendre conscience des distances, (re)mettre le pied à la pédale. Et d’ajouter : « Actuellement en phase de développement, l’objectif de l’expérimentation est d’en tirer un cahier de généralisation et de proposer ensuite une offre personnalisable aux collectivités ».
Penser global, miser sur le long terme et l’adaptabilité, faire avec les habitants et les spécificités du territoire, tels sont les quelques ingrédients clés avancés pour faire évoluer les comportements. C’est en combinant des approches humaines, techniques et pédagogiques que la transition vers des mobilités durables devient une perspective réaliste, même dans les territoires les plus dépendants à la voiture.
Karine Lassus
Pour aller plus loin :
- Cartographie Mobiscol
- Etude « L’ écomobilité scolaire dans les territoires peu denses », Mobiscol, novembre 2023
- Dossier « Rendre possible le développement du vélo en territoires peu denses », Club des villes et territoires cyclables et marchables, août 2022
[1] Projet de L’École de design Nantes Atlantique, financé par l’ADEME