Stratégie nationale du tourisme à vélo, 120 acteurs engagés pour sa concrétisation

Coorganisée par ADN Tourisme, France Vélo Tourisme et Vélo & Territoires, la Conférence nationale du tourisme à vélo 2024 de Grenoble a marqué la concrétisation d’un travail collectif qui s’est employé à résoudre une problématique énoncée en ces termes : « Considérant qu’un touriste à vélo réalise une dépense quotidienne de 24 % supérieure à celle d’un autre touriste et que les retombées économiques du secteur sont évaluées à 4,2 milliards d’euros en 2019, il est évident que le tourisme à vélo nourrit l’activité économique locale génératrice d’emplois non délocalisables et, ce faisant, l’économie nationale. ». Les travaux conduits et le cap fixé sont l’aboutissement évident de plusieurs paramètres :  l’investissement des territoires depuis plus de vingt ans, une dynamique collective rendue possible par la collaboration étroite entre les secteurs public et privé et une volonté forte de programmer et mettre en œuvre le tourisme à vélo de demain dans la durée. Accessoirement, il s’agit d’« une première en Europe », précise Sophie Rapinel, responsable du pôle Tourisme et itinéraires à Vélo & Territoires.

Le tourisme à vélo hier, aujourd’hui, demain

Au sortir de deux voire trois décennies d’une inexorable montée en puissance, la thématique se devait de faire son introspection, tirer les enseignements des actions conduites à ce jour et surtout envisager les multiples pistes à développer pour demain. En d’autres termes, tendre des perches. Mâcher le travail pour celles et ceux qui hésitent encore à se lancer. Parler en connaissance de cause, avec la hauteur de vue de celui qui s’y est déjà frotté et entend faire gagner du temps à tous ces autres qui découvrent le sujet. « En plus d’un vaste littoral, de plusieurs massifs montagneux et d’une grande diversité de paysages, la ‘destination France’ bénéficie également de facilités d’accès avec un large potentiel d’infrastructures existantes, mais aussi d’une culture vélo, avec le Tour de France en étendard, sur laquelle s’appuyer », rappelait-ton dès l’étape inaugurale de la démarche à Orléans, les 22 et 23 juin 2022. Un an plus tard à Angoulême, une feuille de route est présentée sur la base notamment d’objectifs dits SMART-D « Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes, définis dans le Temps et Durables. » Enfin, de septembre 2023 à juin 2024, une patiente et rigoureuse phase de compilation et de sélection parvient à l’os des recommandations souhaitées, ramenant ces dernières de 80 à 27 mesures présentées à Grenoble.

Travail en convergence

« Identifier, développer et promouvoir des destinations fleurons du tourisme à vélo en France », « délivrer une information claire, fiable et accessible à tous sur l’ensemble des solutions intermodales », « atteindre les 20 000 établissements labellisés Accueil Vélo » font ainsi partie des priorités mises en avant par le collectif d’organismes publics et privés ayant planché sur la question sous la houlette de Vélo & Territoires. « Il s’agissait de répondre aux interrogations liées à l’avenir, aux atouts et aux freins rencontrés, poursuit Sophie Rapinel. Structurer l’offre en présentant un éventail complet de mesures réalistes et réalisables réunissant porteurs de projets, modèles de financements et enveloppes budgétaires. » Une gageure sur le papier finalement rendue possible par un long et méthodique travail en convergence. Seize séquences en visio, quatre en présentiel réparties entre Orléans, Lyon et Paris, 80 personnes issues de 56 organismes publics et privés mobilisés, plus d’un millier d’heures de jus de crâne en cumulé… Il fallait bien ce format de co-construction pour appliquer à la très touffue sphère vélo le fameux axiome de Nicolas Boileau : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. »

Poupées russes

La stratégie nationale qui en découle s’articule autour de huit enjeux, pilotés, recoupés et couchés par écrit par Karine Lassus dans un document de Vélo & Territoires appelé à faire date. Le premier de ces enjeux est transversal à tous les autres, attendu qu’il pose l’objectif de durabilité du tourisme à privilégier. Un objectif qui fédère des préoccupations comme « l’adaptation au changement climatique, le report de la voiture individuelle vers des mobilités décarbonées [ou] la gestion responsable des flux touristiques » selon Anne-Lise Olivier, directrice d’ATD Acteurs du tourisme durable, citée dans le document ressource. Les sept enjeux suivants s’emboîtent comme des poupées russes puisqu’ils mettent en exergue des mots-clés et autres invariants communs à la plupart des schémas directeurs cyclables :

• maillage: « Le tourisme à vélo […] se décline sous toutes les formes, de la visite touristique en passant par les grands cols du Tour de France, sans oublier les espaces naturels et les stations de montagne » indique Julien Rebuffet, directeur du Syndicat national des moniteurs cyclistes français ;
• intermodalité: « Stationner un vélo de manière sécurisée et adaptée ; embarquer un vélo dans un train, un autocar ou un bateau ; louer un vélo à destination, énumère en connaissance de cause le consultant et explorateur de mobilités Julien de Labaca. Il est absolument primordial de penser à l’ensemble des solutions, car les attentes sont fortes » ;
• offre d’équipements et de services: « Le groupe de travail a permis de prendre de la hauteur sur cette thématique en croisant les visions du secteur public, des associations et des professionnels, se réjouit Yannis Vial, chef de produit tourisme fluvestre chez VNF. Des actions prioritaires ont été mises en évidence, tout particulièrement sur les lieux d’interface et des hébergements d’appui à l’itinérance » ;
• accessibilité: à chacun de « diffuser une vraie culture vélo auprès de nos décideurs locaux et nationaux, exhorte l’incontournable Nicolas Mercat, désormais maire du Bourget-du-Lac, [de] susciter des envies auprès des non-initiés, [d’] aider ceux qui se lancent à faire les premiers tours de roue, à commencer par les enfants, et mettre à profit notre incroyable patrimoine vélo, le Tour de France en tête » ;
• information : pour Karine Dupuy, directrice de France Vélo Tourisme, « cette année a démontré une fois encore la pertinence des approches collectives et mutualisées de l’information sur une France à vélo adaptée à toutes les envies et toutes les pratiques, et de sa promotion» ;
• observation: « Même si les besoins et les approches diffèrent d’un pays à un autre, les bases d’une observation du tourisme à vélo sont proches d’être posées, estime Agathe Daudibon, directrice d’EuroVelo et du tourisme cyclable de la Fédération européenne des cyclistes. [Or], dans ce domaine, la France a un pas d’avance et a tout à gagner à conserver son statut de leader » ;
• et gouvernance: « Nous avons besoin de porter la stratégie, répartir le pilotage des mesures, faire que les acteurs se l’approprient, continuer à accompagner le collectif, synthétise Camille Thomé, directrice de Vélo & Territoires. Notre capacité à animer la stratégie du tourisme à vélo, qui compte pour la filière économique du vélo, dépendra évidemment du soutien alloué à la démarche que les territoires ne sauraient financer seuls ».

À chacun de ces huit enjeux correspondent ensuite une à six des 27 mesures définies pour y répondre, elles-mêmes subdivisées en plusieurs entrées pratiques (éléments de contexte, objectifs, description de la mesure, porteur de projet, partenaires à associer, budget, calendrier de réalisation et indicateurs). Le cas échéant, la fiche propose aussi un post-it où sont énumérés les questionnements, les freins et les verrous à prendre éventuellement en considération.

Et maintenant ?

Cette liste colossale et exhaustive étant dressée, l’heure est à présent à sa concrétisation. Pour y parvenir, la mobilisation de financements reste la première priorité. La capacité du secteur touristique à s’approprier et à déployer les mesures de la stratégie à leur propre niveau est également essentielle. « Entendons-nous bien, ce document n’est pas là pour servir à caler un meuble », confirme en souriant Sophie Rapinel. Pour Vélo & Territoires, il s’agit d’assurer la continuité de ces deux années d’intelligence collective et de maintenir et amplifier la mobilisation, en dépit notamment de l’inévitable temps de latence résultant, pour les appels à projets par exemple et par effet de dominos, de la parenthèse d’instabilité politique nationale ouverte au début de l’été 2024. Chacun des acteurs doit faire sa part du chemin. Pour ce faire, le collectif en appelle à l’ensemble du réseau vélo, qu’il s’agisse des structures gouvernementales, territoriales, professionnelles, fédérales et associatives. Même s’il ne part pas de zéro, le tourisme à vélo reste encore un sujet méconnu de nombre de prescripteurs nationaux, de décideurs locaux voire de l’écosystème vélo en général. L’enjeu de sensibilisation et de formation à la thématique sera l’une des clés de réussite de cette stratégie nationale.  Mi-septembre, trois mois après le dévoilement du manifeste de soutien, 120 organismes l’avaient déjà paraphé, en devenant de fait ses tout premiers ambassadeurs.

Anthony Diao