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Déclaration européenne sur le vélo, changement de braquet avant les élections européennes

Cette fois c’est officiel. L’Union européenne reconnaît le vélo comme un élément essentiel de sa stratégie de mobilité. Pourquoi ? Comment ? La parole est aux défenseurs de cet idéal pétri d’idées hautes.

« Une boussole stratégique pour les politiques et initiatives relatives à l’utilisation du vélo, présentes comme futures. » Le 3 avril 2024 est une date à marquer d’une pierre blanche. Pour la première fois en soixante-treize années d’existence, l’Union européenne a proclamé une déclaration commune sur l’utilisation du vélo, le reconnaissant comme un mode de déplacement durable, accessible, abordable et à forte valeur ajoutée pour l’économie de l’ensemble des États membres. Trente-six engagements répartis en huit chapitres précédés d’un préambule en quatorze points, présentés à l’occasion d’une réunion informelle de 27 ministres des Transports. L’ensemble est ratifié d’une même voix tant par le Parlement européen, en la personne de la Française Karima Delli, présidente de la commission des transports, que par le Conseil via Georges Gilkinet, vice-premier ministre belge, et la Commission européenne via Adina-Ioana Valean, commissaire roumaine chargée des transports. Tout un symbole puisque ces organes représentant respectivement les citoyens, les gouvernements et les intérêts communautaires. Un pavé dans la mare ? Plutôt une amarre continentale attendue de longue date pour les militants. Depuis qu’elle a été instituée en 1957 dans la continuité de la Haute Autorité des temps fondateurs, « c’est seulement la deuxième fois que la Commission européenne produit une déclaration aussi ambitieuse », souligne Jill Warren, directrice générale de la Fédération européenne des cyclistes (ECF), membre du groupe d’experts des mobilités dont les conclusions ont servi de piliers à cette avancée qui fait date. La précédente fois est toute récente. C’était fin 2022 : une déclaration sur les droits et principes numériques européens faisait alors le pari d’une transition numérique façonnée, elle aussi, par les valeurs européennes.

Adoption de la Déclaration européenne sur le vélo ©Présidence belge du Conseil de l’Union européenne / Julien Nizet

Compréhension commune

La pratique veut qu’une proposition de la Commission européenne est habituellement soumise aux deux colégislateurs que sont le Parlement européen et le Conseil. Ce n’est pas le cas cette fois. « Il est important de clarifier que cette déclaration n’est pas une proposition des ministres reprise par le Parlement européen », précise-t-on en effet du côté de la Commission européenne. Il s’agit cette fois d’une ‘déclaration’ inter-institutionnelle qui implique les trois institutions sur un pied d’égalité. Ceci traduit « un effort de collaboration au sein de l’Union européenne pour établir une compréhension commune des principes fondamentaux et des éléments-clés d’une politique globale du vélo. » Est-ce à dire pour autant que tout se joue désormais à l’échelon communautaire ? Surtout pas. « La responsabilité de la mise en œuvre des éléments proposés dans la déclaration n’incombe pas seulement à l’Union européenne, poursuit-on du côté de la Commission. Elle incombe aussi, de manière significative, aux acteurs nationaux, régionaux et locaux. Le principe de subsidiarité[1] sera pleinement respecté dans ce contexte. »

Temps long

Les leviers permettant de libérer le plein potentiel du vélo et de mieux l’intégrer dans la politique de mobilité de l’Union européenne sont connus. Infrastructures cyclables, connexions avec les transports publics, espaces de stationnement sécurisés, installations de recharge pour les vélos à assistance électrique… Une préoccupation plus récente, déjà évoquée dans ces colonnes[2], est le rôle central de l’industrie du vélo, dont la Commission a mesuré qu’il s’agissait d’un secteur économique « en pleine croissance, innovant et porteur à l’échelle mondiale. » Si la balle est désormais dans le camp des différentes parties prenantes pour passer du stade de la déclaration d’intention à celui de la mise en œuvre, cette reconnaissance pan-européenne a déjà un mérite : elle dit en creux aux défenseurs de la première heure de la cause vélo qu’ils avaient raison de persister depuis tant d’années. « Dans toute question humaine, il y a quelque chose de plus puissant que la force, que le courage, que le génie même : c’est l’idée dont le temps est venu », écrivait en 1848 l’avocat français Émile Souvestre. « Il faut toujours penser sur le temps long », confirme aujourd’hui Jill Warren.

Dessillement

Pourquoi cette déclaration arrive-t-elle en 2024 et pas avant ? « Les étoiles ont fini par s’aligner » euphémise en souriant Henk Swarttouw, l’expérimenté président néerlandais de l’ECF. Pour lui, le fait que cette avancée se produise au moment de la présidence belge du Conseil – un pays plutôt acquis à la cause, donc, ce qui n’est pas le cas de la totalité des 27 membres de l’Union européenne – est « un mélange de chance et une opportunité que nous avons su saisir. Si, pour une raison ou pour une autre, la procédure n’avait pas abouti avant les prochaines élections, il aurait sans doute fallu tout reprendre à zéro… ». Et Jill Warren d’affiner : « Nous avons toujours essayé de pousser la cause du vélo pour qu’elle soit entendue au niveau stratégique par les autorités européennes. Il y a eu plusieurs jalons importants à porter au crédit de nos prédécesseurs, notamment vers les années 2016-2017 lorsque l’ECF s’est coordonnée avec de nouveaux acteurs venus du monde de l’industrie, par exemple. » La crise climatique, la pandémie de coronavirus, l’instabilité géopolitique des dernières années, tout ceci a contribué au dessillement par étape des officiels de l’Union européenne, en parallèle de l’adoption du Pacte vert européen, de changements irréversibles dans les habitudes de comportement et du retour progressif dans le giron continental de la chaîne de fabrication des vélos. « Le texte final est conforme à 90 % à celui auquel nous aspirions au départ », estime Henk Swarttouw, qui se réjouit de voir prises en considération la plupart des recommandations formulées en termes de croissance, de sécurité et de développement, et insiste sur « le précieux soutien au niveau politique » de son compatriote Frans Timmermans, ancien vice-président exécutif de la Commission, ainsi que sur la capacité des membres de l’ECF de « repérer et d’encourager les bons champions. » En français dans le texte : celles et ceux, parmi, les décideurs, susceptibles de s’emparer et de porter au plus haut les idées de la Fédération européenne.

#VoteBikeEU

« Ce texte est avant tout une feuille de route, un guide », délimite le président de l’ECF. Pragmatique, l’ancien diplomate ne voit pas d’un mauvais œil l’absence de valeur contraignante du texte en l’état. « S’il l’avait été, nous n’aurions pas pu aller aussi loin au niveau du contenu. Certains États freinent encore sur ces questions et il nous faut en tenir compte. » Pour donner une idée des premières applications concrètes liées à cette déclaration, la Commission européenne évoque pour la seule année 2024 « l’harmonisation de la collecte des données, l’élaboration d’une méthodologie et l’établissement d’une base de référence pour mesurer la fréquentation vélo dans l’ensemble de l’Union européenne. » Mais renvoie aux parties prenantes à l’évocation d’une possible alliance pour le vélo à l’échelle européenne : « c’est à elles de décider si une alliance européenne serait le moyen le plus efficace de faire avancer les intérêts communs. » Quant au hashtag #VoteBikeEU, il entre en revanche en cohérence avec la dynamique actuelle. « En l’inscrivant à leur programme pour les élections du 9 juin 2024 au Parlement européen, les candidats s’engagent à soutenir la question cyclable s’ils sont élus ou réélus », éclaire Jill Warren. Six actions servent de colonne vertébrale à cet engagement, allant de l’intention de contribuer à faire du vélo l’une des priorités de la politique des transports de l’Union européenne à la collecte de datas spécifiques. Mi-avril, une vingtaine d’entre eux s’étaient joints à la cause « avec enthousiasme » insiste la directrice générale.

Santé publique et convictions

Les perspectives ouvertes par cette déclaration sont immenses. S’il appartient à chaque partie prenante de s’emparer des détails opérationnels, certains grands axes font déjà consensus. Ainsi pour Henk Swarttouw, l’un des chantiers des dix prochaines années est de renforcer les connections entre le vélo et la santé publique. « Le climat, la pollution, le bruit : la plus grosse marge de manœuvre aujourd’hui, c’est la santé publique, martèle-t-il. Il appartient aux institutions de mettre l’argent là où il doit aller. Il est plus judicieux de budgétiser la prévention que le soin. » Pour Jill Warren, le fossé est immense entre la présente déclaration et le moment de se reposer sur ses lauriers. « Pour beaucoup d’Européens, le réflexe est loin d’être acquis. Le vélo est encore perçu par beaucoup comme un accessoire de l’enfance ou un moyen de se détendre le week-end. Il nous reste du chemin encore pour convaincre le plus grand nombre qu’il est un mode de déplacement à part entière et que ses bénéfices sont immenses. Il reste du chemin, mais cette déclaration montre que nous sommes sur la bonne voie. »

Propos recueillis par Anthony Diao

[1] Dans le cadre des compétences non exclusives de l’Union, le principe de subsidiarité, inscrit dans le traité sur l’Union européenne, définit les conditions dans lesquelles l’Union dispose d’une priorité d’action par rapport aux États membres.

[2] Lire par exemple les Pauses-vélo avec Guillaume Gouffier-Cha (Vélo & Territoires, la revue n°66, février 2022) ou Florence Gall (Vélo & Territoires, la revue n°70, mars 2023).

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