24e congrès de la FUB : transition et accélération vers une France cyclable 2030
Record battu pour l’édition 2024 du congrès de la FUB : 800 congressistes étaient réunis les 21 et 22 mars dernier à Grenoble pour célébrer les 40 ans de l’association. Ce congrès de transition placé sous le cap stratégique « 2030, une France cyclable » a été marqué par des changements structurels internes importants. Une collégiale succède à la présidence d’Olivier Schneider pour diriger la désormais Fédération française des usagères et des usagers de la bicyclette et guider les travaux de ses 500 associations locales réparties sur tout le territoire. Vélo & Territoires et le Club des villes et territoires cyclables et marchables (CVTCM) étaient présents main dans la main pour porter la voix des collectivités. Retour sur quelques échanges clés.
Infuser partout
“Quand la vente est terminée, il faut arrêter de dérouler les arguments”, ouvre Eric Piolle, maire hôte de cette édition, face à un auditoire déjà acquis. Pour autant, il invite à ne pas penser que tout est gagné et, au contraire, à accélérer : “si la dynamique nous précède à nous de l’amplifier”. Diffuser la dynamique vélo socialement et géographiquement, tel était d’ailleurs le mot d’ordre de ce congrès. Une ambition largement partagée par les intervenants, participants et par la FUB qui entend “secouer le sachet” pour que les choses infusent, des mots de son (ex-)président Olivier Schneider en introduction.
Cette diffusion commence par une coopération à tous niveaux entre acteurs du système vélo et un portage politique renforcé. Les acteurs présents à Grenoble ont évidemment salué les efforts et budgets alloués depuis 2018 sur le Plan vélo. Pour autant, ils plaident pour amplifier et accélérer sur de nombreux terrains pour atteindre l’objectif de la France cyclable en 2030. Collectivités, associations et acteurs économiques expriment leur attente unanime d’un deuxième comité interministériel vélo en 2024 auprès de l’attentif directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités Rodolphe Gintz. Ce comité est un temps symbolique important pour aller plus loin dans la dynamique cyclable nationale et ce au plus haut niveau de l’État.
Pour Céline Scornavacca, vice-présidente de la FUB “renoncer, c’est aussi avancer”. La fédération plaide pour que des choix politiques volontaristes réattribuent les financements indispensables pour offrir les conditions d’une pratique cyclable sécurisée dans tous les territoires. Pour les collectivités, « ces financements doivent être pluriannuels pour garantir des effets rapides et pérennes dans le temps », souligne Chrystelle Beurrier, présidente de Vélo & Territoires. Un point également défendu par le maire de Grenoble qui aimerait sortir du système de “carottes financières” éparses que constituent les nombreux appels à projets.
L’éducation au vélo pour tracer le chemin de l’autonomie et de l’acculturation
L’éducation était en filigrane de ces deux journées d’échanges. Maillon essentiel pour convaincre de nouveaux publics et favoriser l’acculturation, tous les acteurs ont leur rôle à jouer : associations d’usagers, associations sportives, collectivités locales, corps enseignant, etc.
“Finalement ce que je retiens, c’est cette notion de plaisir dans le vélo”, conclut Marie Huyghe, modératrice de ce 24e congrès, lors de la plénière dédiée à l’émancipation par le vélo. Philippe Aubin, éducateur à la mobilité et administrateur de la FUB, souligne combien cette notion de plaisir est importante. “On est de vrais cyclistes” “on a senti le vent sur nous”, lui rapportent les élèvent. Ce plaisir et ce bien-être éprouvé sur un vélo sont la première brique de l’éducation au vélo, et ce, à tout âge. À ce titre, Gilles Namur, maire adjoint de la ville de Grenoble, rappelle qu’il faut “montrer qu’on peut se mettre au vélo à travers le sport ou les loisirs”. Le cas de Grenoble l’illustre bien. Si aujourd’hui le vélo utilitaire est au cœur de la dynamique de territoire, c’est d’abord par d’autres biais que la petite reine s’est inscrite dans son histoire.
La finalité de l’éducation au vélo est de créer des cyclistes. Pour y parvenir, chaque acteur met l’accent sur des objectifs différents – sécurité, sensibilisation, acculturation, éducation environnementale – et complémentaires. Le Savoir Rouler à Vélo (SRAV) est un pilier de l’éducation au vélo chez les jeunes, avec un objectif de 800 000 élèves formés par an d’ici à 2027. Il faut donc massifier le SRAV tout en adoptant une approche nécessairement plus qualitative.
Un SRAV 2.0 ? Son ébauche a pu être dessinée. Pour atteindre l’objectif d’autonomie et plus encore de vélonomie, le SRAV gagnerait à devenir une brique du continuum éducatif. Cela permettrait de le pratiquer dès le plus jeune âge et de poursuivre jusqu’au collège. “Les collégiens ont l’avantage que leurs parents leur accordent une autonomie de fait”, souligne l’éducateur à la mobilité. ”Travailler avec cette classe d’âge, c’est aussi donner la possibilité de s’adresser à des élèves qui n’auraient pas eu l’occasion de pratiquer après le SRAV dans le contexte familial.” Au-delà du cursus scolaire, les cours de remise en selle doivent permettre à tout âge et à tout public de s’y mettre, de découvrir le potentiel de liberté et d’émancipation offert par le vélo.
La ville de Grenoble a bien compris l’enjeu. Depuis la rentrée 2023, l’école du vélo de Grenoble, première vélo-école municipale, est un lieu d’échanges et de partage. Dotée d’une flotte de vélos adaptée à la demande et de formateurs, son rôle ne se résume pas au déploiement du SRAV dans les écoles. Elle met aussi l’accent sur la formation des enseignants, l’accompagnement des adultes avec des cours de remise en selle et propose de nombreuses animations. Ce lieu innovant doit largement contribuer à l’acculturation au vélo sur le territoire.
Pour pleinement couvrir toutes les classes d’âge, une expérimentation est par ailleurs menée dans des écoles grenobloises pour agir dès la maternelle et favoriser la psychomotricité. « L’expérimentation d’un prêt de draisiennes pendant un mois avec un accompagnement de 3 heures est reconduite cette année”, témoigne Fabienne Garnier, conseillère pédagogique EPS de l’Isère. “Ces réflexions menées dès le plus jeune âge avec les enfants, c’est aussi l’occasion de sensibiliser les parents à se déplacer eux-mêmes à vélo.”
L’éducation est au cœur de la stratégie de diffusion de la pratique. Il s’agit de construire les citoyens de demain et de leur permettre de faire des choix éclairés. La FUB en fera d’ailleurs sa priorité en 2024 avec une campagne consacrée au vélo chez les collégiens et leurs parents. Permettre aux 12 millions de scolaires en France de se déplacer autrement est une clé pour rendre la France cyclable.
Collectivités et associations : équation gagnante pour des politiques cyclables réussies
Près de 40 km de Voies Lyonnaises sont déployés à ce jour dans la métropole de Lyon. « Le plat de vermicelles devrait se transformer en un plat de spaghettis à terme » des dires d’une congressiste. Douze voies cyclables larges (3 à 4 m), confortables, sécurisées et continues devront mailler le territoire métropolitain d’ici 2026. « Nous avons comme objectif de tripler les déplacements à vélo d’ici la fin du mandat », indique Fabien Bagnon, vice-président de la Métropole de Lyon qui vient d’adopter son nouveau plan vélo 2024-2028. « Nous portons beaucoup d’espoir sur les Voies Lyonnaises. Dès lors qu’il y a un réseau cyclable maillé et adapté aux réalités des territoires les trajets à vélo peuvent aller jusqu’à 10 ou 15 km, d’autant plus avec l’avènement du VAE. Une attention particulière est également accordée aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. »
Concerter, communiquer et rendre possible sont les trois mots-clés de ce projet d’envergure. Sa genèse ? Un plan vélo citoyen porté par les associations vélo présentes sur le territoire de la métropole dans le cadre des élections municipales et métropolitaines. « Dès 2020, nous proposions la construction de ce réseau express vélo, prioritaire aux intersections, lisible, avec des itinéraires d’au moins 3,5 mètres de largeur et des services dédiés », rembobine Frédérique Bienvenüe, co-présidente de l’association La Ville à Vélo. « Nous avions même dessiné un plan, dont on retrouve certaines caractéristiques dans celui présenté par la Métropole. » Dès le début du mandat, le plan s’est transformé en feuille de route. « Nous sommes allés voir l’ensemble des maires pour aborder le programme des Voies Lyonnaises. Une centaine de réunions publiques et de concertations ont été organisées entre 2022 et 2023. Il fallait aussi soigner la communication pour que cela soit un objet clairement identifié et désirable, un objet qui crée des attentes », témoigne Fabien Bagnon.
Un portage politique fort, un budget alloué à la hauteur (280 millions d’euros), une équipe dédiée de seize personnes et une trentaine de contributeurs, la Métropole a-t-elle réuni toutes les conditions pour garantir le déploiement de 250 km de Voies Lyonnaises d’ici 2026 au complet ? « Le réseau se construit progressivement. Les premiers aménagements livrés sont extrêmement qualitatifs. Les travaux s’accéléreront en 2024. Environ 150 km seront livrés d’ici la fin d’année », annonce le vice-président. Pour suivre le déploiement effectif du projet sur le terrain et recenser les informations publiques disponibles sur les Voies Lyonnaises, les bénévoles de La Ville à Vélo, la FUB locale, ont développé la plateforme Cyclopolis. Carte interactive, tableau de bord sur l’état d’avancement, détail des aménagements prévus, calendriers prévisionnels de chacune des douze lignes : tout est proposé sur la plateforme en accès libre.
Quels enseignements tirer près de trois ans après le lancement de l’aventure des Voies Lyonnaises ? « Les moyens mis en place en termes de concertation n’étaient certainement pas suffisants. Nous avons dû revoir la façon dont nous présentions le projet. Il s’agit d’une approche plus globale qui permet d’améliorer l’espace public et le cadre de vie de nos habitants. Le programme consacre également une attention particulière à la place des piétons, des transports publics et la végétalisation des cheminements », précise Fabien Bagnon. Pour la co-présidente de La Ville à Vélo, il est important qu’« une multitude d’acteurs parlent vélo pour que cela devienne une vraie demande citoyenne. » Et de compléter : « Quand on voit la publicité des promoteurs immobiliers, on ne voit plus de voitures. Le vélo c’est l’avenir. »
L’infrastructure cyclable au cœur des projets de territoire
Les infrastructures racontent le projet politique porté par les acteurs du territoire. Premiers investisseurs dans les aménagements, les collectivités sont soumises à la fois à des enjeux globaux (le climat, l’environnement) et locaux (le social, l’économie, l’attractivité territoriale) et leurs projets doivent manier le court terme, le long terme et puis l’urgence. « Quand on est élu on agit là où on peut. Par exemple pour les projets autoroutiers cela se joue au plus haut niveau, pas à nôtre. Là où peut intervenir l’élu local, c’est en obligeant des mesures d’accompagnement auprès des concessionnaires autoroutiers », témoigne Chrystelle Beurrier. Et de citer un exemple haut-savoyard :« pour le projet autoroutier de 16 km entre Thonon-les-Bains et Machilly le concessionnaire autoroutier a financé des passerelles modes doux, des continuités et des pistes cyclables. »
La France compte près de 1,1 million de kilomètres de voiries, dont plus des deux tiers sont situées hors agglomération. Elle dispose d’un des réseaux routiers les plus denses du monde. Seulement 2 % des voiries relèvent du réseau principal (autoroutes et routes nationales), le reste appartient au réseau secondaire (départemental et communal). Pour accélérer sur le déploiement de leurs réseaux cyclables et donner plus de place aux cyclistes sur les infrastructures routières, de plus en plus de collectivités s’emparent de leurs réseaux de voiries existants pour ouvrir des liaisons cyclables (pour en savoir plus, consultez le dossier dans Vélo & Territoires, la revue n°74). Au regard des contraintes financières et foncières qui pèsent sur les collectivités, la requalification du réseau routier secondaire peut, à certaines conditions, permettre des résultats rapides pour transformer les territoires.
Abaisser les vitesses et apaiser le trafic améliore aussi l’existant et permet de nouveaux usages et d’autre modes de vie sur la route. La métropole iséroise a été précurseur sur le sujet : « nous avons lancé la généralisation du 30 km/h sur tout le territoire métropolitain dès 2016. À l’époque c’était une révolution. Aujourd’hui, c’est acquis. L’idée a fait son chemin et cela se généralise », témoigne Sylvain Laval, vice-président de Grenoble Alpes Métropole.
L’enjeu n’est-il pas donc d’utiliser à la fois la route mais aussi les compétences des ingénieurs routiers pour bâtir un réseau cyclable ? « Le département d’Ille-et-Vilaine a décidé de ne plus créer de nouvelle voirie « à l’ancienne ». Une partie des services de voirie est réaffectée à la réalisation du plan vélo », indique Chrystelle Beurrier. Quelque 70 millions d’euros financent la création de 24 pistes cyclables à haut niveau de service qui doivent strier le département. « Le cas de l’Ille-et-Vilaine montre qu’il est possible d’afficher des choix à l’échelle départementale pour préparer l’avenir et éviter que l’augmentation de la population ne se transforme en augmentation des circulations motorisées. »
À échelle du territoire, beaucoup d’espoir repose sur les 27 lauréats du premier appel à territoires cyclables. Montrer qu’il est possible de transformer les mobilités, agir en locomotive, en territoires démonstrateurs sur les six prochaines années, inspirer et donner de l’impulsion pour d’autres territoires, … tel est le challenge collectif lancé aux intercommunalités lauréates. « Sur le long terme, nous n’aurons pas les moyens de proposer des transports publics partout, notamment dans les territoires de faible densité. Il est dans notre intérêt de créer les conditions pour une mobilité autonome, active et décarbonée. Il en va de la bonne gestion de l’argent public », conclut Chrystelle Beurrier.
Le chemin de la France cyclable en 2030 est ponctué de plusieurs moments-clés. Un premier est celui des élections municipales en 2026. Dans la perspective de ce rendez-vous politique, la FUB prépare le lancement du quatrième Baromètre des villes cyclables en 2025. Sa mobilisation en local et en national et sa capacité à interpeler les candidats seront importants pour éviter que ces élections ne donnent un coup d’arrêt aux projets vélo. La suite ? Elle se prépare également en interne à la FUB. Après neuf ans de présidence, et un bilan immense, Olivier Schneider poursuit l’aventure FUB à voilure réduite au sein d’une collégiale de six personnes pour prévoir la transition « vers une FUB multi-incarnée et résiliente au changement »… à l’image du vélo et de la politique cyclable en France.
Lucille Morio et Dorothée Appercel