Avec 2 milliards d’euros pour le Plan vélo, l’État consent un effort sans précédent
En plein Mai à vélo et alors que le matin même, le décret officialisant le Schéma national des véloroutes 2023 a été publié au JO, la Première ministre Elisabeth Borne annonce 2 milliards d’euros pour le Plan vélo et marche 2023 – 2027. Les tenants et aboutissants de ce plan ont été dévoilés devant le parterre d’invités et parti-prenants du vélo français conviés au premier Comité interministériel du vélo promis depuis septembre dernier. Ces annonces, sont-elles le marqueur d’un nouveau cap pour les collectivités ? Décryptage.
Le gros ira aux territoires
Avec 1,25 milliard d’euros jusqu’à 2027, soit 250 millions d’euros annuels jusqu’à la fin du quinquennat, la priorité est donnée au développement des infrastructures cyclables. « Nous travaillerons avec les collectivités locales et souhaitons qu’à leurs côtés, nous parvenions à investir 6 milliards d’euros sur la période », indique la Première ministre. En 2023, le Fonds mobilités actives de 250 millions d’euros prévoit deux axes. Le premier, doté de 100 millions d’euros, financera des aménagements cyclables sécurisés. Plus de 600 dossiers avaient été reçus en avril à la clôture de l’appel à projets. Les lauréats seront annoncés fin septembre.
Les autres 100 millions du fonds 2023 seront consacrés à un appel à territoires cyclables. Censé paraître fin mai, le dispositif accompagnera des territoires peu ou moyennement denses à accélérer la mise en œuvre de leur schéma cyclable sur plusieurs années. Objectif ? Disposer de territoires démonstrateurs, à raison d’un par région au moins, pour montrer qu’une politique cyclable ambitieuse est réalisable par tous les territoires, y compris les moins habituels. Ce dispositif novateur répond aux demandes des collectivités et est unanimement salué par les présidentes de Vélo & Territoires et du Club des villes et territoires cyclables et marchables qui n’ont cessé de plaider pour donner de la visibilité budgétaire aux collectivités.
Côté réseau des véloroutes, désigné comme le réseau structurant aux niveaux national et régional par le Gouvernement, l’État contractualisera jusqu’à 200 millions d’euros sur les CPER 2023-2027 pour en compléter le maillage. Là encore, un engagement inédit. Vélo & Territoires, qui assure la coordination centrale du Schéma national des véloroutes et le suivi en lien avec les collectivités, est aux premières loges de ces travaux. Sur les 26 115 km du Schéma national 79,5 % sont réalisés aujourd’hui. Pour tenir l’objectif d’achèvement d’ici 2030, 5 360 km, soit 700 km/an, restent à réaliser. Un challenge de taille lorsque l’on sait que 510 km ont été ouverts en 2022. Les CPER seront donc plus que bienvenus pour accompagner le travail des collectivités à réaliser ce Schéma vélo magistral français sur lequel s’adossent les schémas régionaux, départementaux et locaux.
Autre dispositif annoncé ce 5 mai ? Pour rendre l’intégralité du territoire national cyclable et le couvrir de politiques cyclables d’ici 2023, 37 millions d’euros seront consacrés à un programme AVELO 3 via l’Ademe. Ce dernier permettra d’enrôler 350 nouvelles collectivités, notamment en territoires peu denses, pour compléter les 600 territoires lauréats des programmes AVELO 1 et 2.
Autres annonces et symboles notables
Cinq ministres participaient à ce premier comité interministériel aux côtés d’Elisabeth Borne : transition écologique et cohésion des territoires ; transports ; industrie ; solidarités, autonomie et personnes handicapées ; petites et moyennes entreprises, commerce, artisanat et tourisme. Pour la dernière, le rendez-vous a donné lieu à un véritable positionnement sur le tourisme à vélo : « Notre ambition est claire : faire de la France la première destination mondiale en matière de tourisme durable, ainsi que la première destination du tourisme à vélo », proclame Olivia Grégoire. Pour cette ligne de mire 2030, le travail de concertation conduit par Vélo & Territoires, en lien avec tous les acteurs de la filière, aboutira à la remise d’un livre blanc à la Ministre. Sur la base de ces recommandations, la stratégie nationale devrait être pilotée par l’État, en lien avec les associations, les collectivités et les acteurs économiques.
Autre contribution à ce Plan vélo, et non des moindres compte-tenu des enjeux, le ministère de la Santé par la voix de Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, a annoncé un engagement pour « rendre le vélo accessible à toutes et tous tout au long de la vie », reprenant au bond les mesures préconisées par le député Jean-Marc Zulesi. Prévention aux âges clé, sensibilisation des professionnels, compléments au programme national nutrition santé, mobilisation des maisons sports-santé,… Objectif ? Maintenir chaque jour les Français en bonne santé et lutter contre la sédentarité. Un enjeu sociétal majeur, dans l’immense intérêt des dépenses de la santé publique.
Devant un bilan 2022 préoccupant, la Délégation à la Sécurité routière mettra en place une stratégie de sensibilisation pour renforcer la sécurité des cyclistes et des piétons à compter de 2024. Elle invite aussi à généraliser les SAS vélo et à conduire des expérimentations pour adapter le code de la route (repose-pied en bord de chaussée, décalage du passage au vert, remonte file par la droite, …). La filière économique du vélo, quant à elle, a eu la confirmation d’une signature de contrat de filière cette année.
Ambitieux, inédit … et suffisant ?
Le Gouvernement affiche l’ambition d’atteindre 80 000 km d’aménagements cyclables en 2027, soit 23 000 de plus que les 57 000 km actuellement recensés. Dans le même temps, les collectivités ont 28 000 km d’aménagements cyclables programmés dans l’actuel mandat, comme révèle l’Enquête nationale sur les politiques modes actifs menée par Vélo & Territoires et le Club des villes et territoires cyclables et marchables en 2022. Les objectifs sont alignés et atteignables … sous réserve de financements. Tous les voyants sont au vert ? À certaines conditions. Réaliser 28 000 km d’ici la fin des mandats actuels avec les financements disponibles suppose que les collectivités aient le temps de les mobiliser et d’engager leurs travaux de voirie souvent longs et lents à mettre en œuvre. Les professionnels des travaux publics ont intérêt à se tenir prêts car beaucoup de projets se réaliseront en même temps.
Pour programmer, candidater et piloter les 6 milliards d’euros d’investissements espérés par le Gouvernement dans les infrastructures cyclables d’ici 2027, il faut des hommes et des femmes compétents au sein des collectivités… qui en manquent. Ce n’est pas faute d’avoir doublé leurs effectifs vélo depuis 2019. Le programme AVELO 3 annoncé dans le Plan vélo est une manière d’y remédier. Mais la tâche est vaste : lorsque l’Enquête nationale sur les politiques modes actifs recense 1 174 ETP mobilisés pour les politiques cyclables des collectivités, l’Institut de l’économie pour le climat estime à 5 000 ETP les besoins pour les conduire à la bonne mesure. Une chose est sûre : le Fonds mobilités actives gagnerait en efficacité à financer le fonctionnement (hors externalisations) des collectivités.
Dernier enjeu : s’assurer que les volets mobilité des CPER soient contractualisés le plus rapidement possible. Or à date, les mandats ne sont pas encore transmis aux Préfets et donc les négociations pas encore engagées avec les régions. Repoussés depuis 2022, ces mandats seraient à présent attendus pour le 11 mai. Si on y ajoute trois mois incompressibles de négociation, les CPER ne démarreront pas avant septembre… en étant optimistes. Les véloroutes seront noyées dans le ferroviaire et d’autres sujets coûteux et complexes. Et chaque mois perdu est un mois de moins sur la mise en œuvre cyclable (et tout le reste).
Pour doubler le réseau cyclable français durant le quinquennat, l’Alliance vélo demandait que l’État porte son budget d’investissement dans les infrastructures vélo à au moins 2,5 milliards d’euros sur cinq ans. L’enveloppe de 250 millions annuels, annoncée ce 5 mai, représente la moitié de cet investissement. Les montants obtenus sont, sans l’ombre d’un doute, le fruit d’arbitrages en haut lieu, pour lesquels l’engagement de la Première ministre autour du Plan vélo depuis 2018, lorsqu’elle était aux Transports, n’est certainement pas étranger. Le soutien à ses côtés de cinq ministres montre que le vélo en France est une politique de premier rang, qui pourra encore progresser au grès des comités de suivi du Plan vélo et des comités interministériels à venir.
Camille Thomé
Pour aller plus loin :
Dossier de presse du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires