Claire Schreiber
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°63
Coordinatrice du programme AVELO et au pilotage du récent cahier « Développer le système vélo dans les territoires », Claire Schreiber porte un regard précis et à 360° sur les enjeux du moment. Entretien.
Comment êtes-vous venue à travailler sur les thématiques cyclables ?
J’ai commencé comme chargée d’études au Club des villes et territoires cyclables entre 2015 et 2019. Je n’étais pas spécialiste du vélo, mais je sortais d’un Master en Stratégies territoriales et urbaines à Sciences Po Paris. Ce poste m’a permis de faire beaucoup d’animation de réseau et de groupes de travail, et de prendre un peu mieux la mesure de tout ce qu’impliquent les actions de lobbying. Et puis, en 2018, il y a eu cet appel à projets de l’Ademe intitulé « Vélo et Territoires ». Son succès a permis la création d’AVELO, un programme de certification d’économie d’énergie, avec une enveloppe de treize millions d’euros à la clé. C’est précisément pour animer ce programme que le service Transport et mobilité de l’Ademe a ouvert un poste en juin 2019, et que je l’ai intégré.
En quoi consiste votre action ?
J’anime un réseau d’un peu plus de 220 collectivités en milieu plutôt peu dense – cette fameuse strate que l’on voit d’ordinaire si peu. De par mon parcours antérieur, l’idée était de s’inspirer des méthodologies et des pratiques des grandes métropoles et communautés urbaines et de voir ce qui pouvait être répliqué. Cette intuition s’est confirmée au contact des collectivités lauréates de l’appel à projets, même si tout n’est pas transposable à l’identique bien sûr. Dans les grandes villes, les arguments tournant autour des problématiques de congestion sont à la fois les plus audibles et ceux dont la portée est la plus immédiate. Mais la congestion et la pollution touchent beaucoup moins les territoires ruraux. Le combat pour le vélo est d’abord un combat culturel. D’une façon globale, il y a encore du boulot car nous partons souvent de très loin, même si les dernières élections municipales et la crise sanitaire ont montré que la première étape, celle de la sensibilisation, est désormais un aspect plus évident aux yeux de davantage d’interlocuteurs.
Qu’est-ce que la crise sanitaire a changé à votre organisation et à l’avancée de vos actions, justement ?
Du strict point de vue vélo, cette crise sanitaire a été un accélérateur extraordinaire. Elle a permis aux différents acteurs de réaliser en six mois ce qui aurait dû nous prendre cinq ans si nous étions restés au fil de l’eau. Le vélo est désormais perçu comme une solution grand public et ça c’est une avancée considérable. Les aménagements de transition réalisés à cette occasion ont permis aux collectivités d’expérimenter avant de pérenniser. Le Coup de pouce vélo de la FUB, la dynamique autour des ateliers de réparation, et le marché du cycle sous tension font qu’aujourd’hui le vélo concerne vraiment les Français et, puisque c’est le cas, les collectivités n’ont d’autre choix que de s’y mettre. De mon point de vue, donc, cette crise nous aura fait gagner quelques précieuses années. Politiquement, ça a aussi coïncidé avec une année électorale. Le vélo s’est révélé être un gros sujet pendant les élections municipales, surtout dans les grandes villes. En revanche il était peu dans les programmes électoraux des communes peu denses – sans doute le sera-t-il la prochaine fois, avec la prise de compétence mobilité par les communautés de communes. Pour ma part la crise s’est traduite par beaucoup de télétravail et, bien sûr, certains projets que nous accompagnions ont été remis en question. Pour autant, même s’il est indéniable que les collectivités ont peu de moyens, que les arbitrages oscillent entre « nécessaires » et « incontournables » et qu’il n’y a pas encore de massification, la bonne nouvelle c’est que le programme AVELO 2 est déjà lancé. Et le nombre de sollicitations nous rassure : politiquement, le sujet est porté.
Le côté systémique des politiques cyclables me paraît être celui qui parle le plus immédiatement à nos interlocuteurs.
Quels arguments vous semblent les plus pertinents, aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de convaincre un décideur de ces territoires peu denses ?
Le côté systémique des politiques cyclables me paraît être celui qui parle le plus immédiatement à nos interlocuteurs. Je dirais même que cet argument me semble devenu incontournable. Par ailleurs, aujourd’hui, la transition écologique n’est plus un sujet que l’on peut ignorer car le sujet est arrivé à maturité. L’argument économique fait également son chemin, notamment pour tout ce qu’il implique en matière de créations d’emplois, d’activités de production ou d’emplois non délocalisables. S’agissant du besoin de mobilité, la notion est là, mais reste difficile à quantifier… Avec la crise sanitaire, la pratique d’une activité physique devient un enjeu encore plus important. Il se couple avec la nécessité de rendre l’espace public accessible à d’autres pratiques. C’est un défi concret, mais aussi théorique, presque philosophique. En gros, tout le monde est d’accord pour envoyer les enfants à l’école à pied. Cependant il y a des barrières à lever en amont, liées aux contraintes et aux inquiétudes des parents, à la distance, à la configuration de l’espace public aux abords des écoles.
Vous avez piloté le cahier « Développer le système vélo dans les territoires », que l’Ademe a publié en mars 2021. Que retenez-vous de cette expérience ?
Cette publication nous tenait à cœur. Un premier cahier ressource avait été réalisé en 2015 par un collègue en Pays de la Loire. L’idée centrale est celle-ci : comment faire pour s’y mettre lorsque l’on part de rien ? Donner des clés de compréhension à quelqu’un dont c’est le rôle en collectivité d’initier cette politique sans en être spécialiste, en lui apportant notamment des exemples concrets. Il y avait un vrai défi sur ce sujet, car les bonnes pratiques viennent majoritairement des métropoles et les petites collectivités ne se retrouvent pas dans ces exemples. Ce cahier constitue une prise en compte de cette réalité, avec l’effort pédagogique qui va avec. Cette démarche entre en cohérence avec le programme AVELO 2. Notre rôle ne s’arrête pas à celui de financeur. Nous sommes aussi là pour accompagner, proposer des formations, des rencontres régionales, produire de la connaissance.
Nous sommes aussi là pour accompagner, proposer des formations, des rencontres régionales, produire de la connaissance.
Y’a-t-il à l’étranger des modes d’organisation territoriaux qui sont une source d’inspiration pour vous ?
La ville allemande de Karlsruhe a un fonctionnement qui me parle tout particulièrement : comment ça fonctionne dans une commune où on est vite à la campagne et où, pourtant, la pratique du vélo parvient à rester une évidence ? Ces articulations-là m’intéressent. Idem aux Pays-Bas, lorsque je vois comment s’organise une petite ville comme Nijmegen, qui fut l’hôte de Velo-city 2017. Tout y est anticipé et facile pour les adultes comme pour les enfants, avec des connexions intelligentes pour les cyclistes entre les quartiers résidentiels et les grands axes. J’aime ces territoires où tout est fluide et où il se passe pas mal de choses pour faire de la place au vélo.
Autre enjeu de l’époque : quel regard portez-vous sur la médiatisation du vélo ?
Il y a pour moi deux types de journalisme sur ce sujet. Le premier ce sont les grands médias nationaux type Le Monde ou Les Échos. Il y a souvent une approche économique du sujet, avec une volonté d’aller chercher les bons exemples et les success stories. Parfois aussi, le vélo y est tourné en dérision. Cela nous interpelle, nous acteurs du vélo : quand le vélo aura-t-il suffisamment de maturité pour être perçu comme un sujet sérieux comme les autres ? À côté de la presse nationale, il y a la presse quotidienne régionale, qui repose essentiellement sur des articles factuels autour des réalisations et des aménagements. Le paradoxe est que, pour des raisons économiques, ces pages-là sont parfois juxtaposées à des publicités autour des voitures [Sourire]. Il y a aussi des séries d’articles comme dans le quotidien Ouest-France, autour des Français qui lâchent leur voiture, ou la série Biclou du Parisien… Peu à peu nous voyons les articles délaisser le « comment » pour s’intéresser au « pourquoi ». Cette évolution me semble aller dans le bon sens.
Propos recueillis par Anthony Diao