Intermodalité, le casse-tête pour les cyclistes
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°61
L’intermodalité renvoie à l’utilisation successive de plusieurs modes de déplacement au cours d’un même trajet. Simple sur le papier, ce concept s’avère difficile à mettre en œuvre. Il présente néanmoins une alternative prometteuse à l’autosolisme et constitue le graal en matière de mobilité pour les pouvoirs publics. Quelle est la place du vélo dans ce système ? Inclusive, économique, agile… l’alliance du vélo avec les autres modes de déplacement s’impose de plus en plus comme une évidence pour les usagers. mais elle reste un défi pour les collectivités.
« EMBARQ », une étude de Vélo & Territoires sur l’intermodalité
Sous l’impulsion de ses collectivités adhérentes, Vélo & Territoires réalise en 2020 une étude pour favoriser le développement de l’intermodalité entre le vélo et les transports terrestres. Au programme : identifier les freins rencontrés par les cyclistes, valoriser les bonnes pratiques d’intermodalité en France et à l’étranger, et proposer des pistes d’action à court terme pour les territoires. Le projet EMBARQ entend poser les jalons d’une stratégie nationale pour améliorer les liens entre le vélo et les autres modes de transport, en particulier les trains et les cars. En savoir plus
L’intermodalité du point de vue des cyclistes : différents freins pour différents usages
La pratique du vélo en intermodalité est multiple. Elle varie en fonction de l’offre de transports sur le territoire, mais aussi en fonction des besoins des cyclistes. On distingue trois catégories d’usages : les cyclistes utilitaires, les touristes à vélo et les cyclistes de loisirs. Chacune de ces catégories trouve un intérêt particulier au développement de l’intermodalité. Mais les freins rencontrés sont aussi nombreux.
Le potentiel du vélo en intermodalité pour une pratique utilitaire
La pratique utilitaire renvoie à l’usage du vélo pour des trajets quotidiens, entre le domicile et le lieu d’études, le lieu de travail, mais aussi pour réaliser des achats ou des démarches administratives. Si les avantages du vélo pour ces déplacements, souvent inférieurs à 5 km, ne sont plus à prouver (sanitaires, économiques, écologiques), pour les trajets de plus grande distance, c’est une autre paire de manches. La combinaison du vélo avec un autre mode de transport comme le train ou le car peut être la solution. Cette combinaison permet d’élargir considérablement la zone d’influence des lignes de transports collectifs, en particulier dans les territoires peu denses. Mais les freins rencontrés par les cyclistes utilitaires en intermodalité sont nombreux. Première difficulté : l’accès aux pôles d’échange. Les cyclistes sont confrontés à des aménagements peu sécurisés, des trajets peu directs et une signalétique souvent incomplète. Une fois à destination, les choses se corsent : les stationnements vélo sont rares, peu sécurisés, mal conçus et avec des conditions d’accès hétérogènes. Quant à l’embarquement des vélos à bord des trains ou des cars, il est souvent compliqué aux heures de pointe, voire complétement interdit. Le chemin est encore long pour atteindre une intermodalité sans rupture de charge pour les déplacements du quotidien. Mais l’opportunité est réelle, comme le montre notre voisin néerlandais : aux Pays-Bas, 50 % de l’ensemble des usagers du train utilisent le vélo pour se rendre à la gare.
L’intermodalité, un atout pour le développement du tourisme à vélo
Le tourisme à vélo correspond à l’aspiration sociétale pour un tourisme plus responsable, mais aussi plus lent, plus proche, plus ouvert à la découverte. L’interopérabilité du vélo avec les transports publics est cruciale pour le touriste à vélo pour accéder à une destination, retourner
à son point de départ ou à son lieu de résidence tout en réduisant l’impact environnemental de son trajet. Mieux, l’accessibilité en train ou en car détermine souvent le choix du lieu de vacances pour les touristes à vélo. Autre atout ? Les transports publics constituent, lorsque c’est nécessaire, des alternatives à des sections dissuasives en raison d’un fort trafic, d’un important relief ou encore
non aménagées. Le développement de l’intermodalité est essentiel pour faire de la France la première destination mondiale pour le tourisme à vélo. Mais sur le terrain, les touristes à vélo doivent surmonter de nombreuses difficultés. Premier défi : s’informer en amont du trajet. Pour embarquer un vélo à bord d’un train ou le stationner aux abords d’une gare, les conditions d’accueil des vélos sont incertaines. Les utilisateurs sont confrontés à des informations « vélos »
souvent évasives, voire erronées, sur le site Internet de la SNCF. Pour les cars, les conditions d’accès sont « enfouies » dans les conditions générales de vente. Deuxième défi ? L’accès aux quais. Rares sont les gares routières et les gares SNCF équipées d’escaliers et de goulottes adaptés aux vélos. Les ascenseurs, lorsqu’ils existent, sont souvent trop étroits pour les vélos spéciaux (tandems, vélos-cargos…). Dernier défi et pas des moindres : l’embarquement des vélos à bord des trains ou des cars. Pour les TGV, en attendant les décrets d’application de la Loi d’orientation des mobilités (LOM), les cyclistes en sont toujours réduits à devoir démonter leurs vélos pour pouvoir les transporter. Pour ce qui est des TER, les systèmes d’embarquement restent trop peu nombreux et souvent inadaptés. Accès étriqués, manque d’emplacements pour les sacoches, vélos spéciaux et remorques parfois interdits… L’embarquement des vélos à bord des TER s’avère aujourd’hui « mission impossible » pour les familles et les groupes à vélo. Sans oublier l’impossibilité de réserver un emplacement à bord, qui rend la programmation d’un parcours difficile. Côté cars, le transport des vélos non démontés pour un usage touristique est possible, mais n’est pas facilité : vélos installés en soute sans support, manque de communication sur le service, capacité limitée, etc. Là aussi, l’essai doit être transformé.
Quelles opportunités pour la pratique de loisirs en intermodalité ?
Les cyclistes de loisirs pratiquent le vélo à la journée au maximum, et regagnent leur résidence principale pour la nuit. C’est une catégorie hétérogène qui regroupe aussi bien les promeneurs du dimanche que les cyclosportifs. Quelles opportunités d’intermodalité pour ce type d’usage ? Le couple voiture + vélo est déjà largement plébiscité en France pour des excursions à la journée. En revanche, l’utilisation des transports collectifs est moins répandue. Pourtant, l’intermodalité vélo + transports collectifs promet la découverte de paysages plus éloignés du lieu de résidence tout en limitant l’usage de la voiture et son impact environnemental. Côté sport, de nombreux grands sites de VTT ou de cyclisme sur route sont accessibles en transports collectifs. Pour favoriser ces usages, il reste cependant quelques étapes à franchir. Les besoins des cyclistes de loisirs en intermodalité sont similaires à ceux des autres cyclistes : un meilleur rabattement vers les gares, des informations plus complètes en amont du trajet, un embarquement facilité à bord des transports collectifs… À cela s’ajoute le besoin de services en gare (routière et SNCF) plus nombreux : stations de réparation ou de nettoyage des vélos, systèmes de location de vélos à la journée, offres combinées… En Suisse, les CFF (équivalent de la SNCF) proposent par exemple aux usagers des offres combinées avec l’achat d’un billet de train et la location d’un vélo à assistance électrique pour réaliser une boucle à la journée. Des prestations similaires sont envisageables en France pour développer le potentiel intermodal du vélo.
L’intermodalité vélo + voiture
Dans les territoires non desservis par les transports collectifs, certaines collectivités incitent les usagers à allier voiture et vélo. Le Grand Chambéry déploie depuis 2007 une offre intermodale vélo + voiture, destinée aux usagers éloignés du centre-ville. « Chambéry est situé dans une plaine entourée par des montagnes » explique Emmanuel Roche, chargé de développement de la politique cyclable du Grand Chambéry. « Les communes autour de ce plateau sont mal desservies par les transports collectifs. Les habitants, travaillant pour la plupart à Chambéry, ont peu d’alternative à la voiture pour se rendre sur leur lieu de travail ». Afin de résoudre cette problématique, la Communauté d’agglomération a mis en place des parkings relais au pied des massifs, connectés aux aménagements cyclables existants. Les usagers utilisent leur voiture depuis leur domicile jusqu’à un parking relais où ils récupèrent leur vélo stationné dans une consigne sécurisée. Ils peuvent ensuite continuer leur chemin à vélo jusqu’à leur lieu de travail. « Nous avions, à l’origine, huit consignes de dix emplacements pour vélos classiques réparties au
pied des massifs. Certaines consignes ont si bien fonctionné que nous avons dû augmenter leur capacité à 50 places. Aujourd’hui, nous disposons de 17 consignes pour un total de 250 places de stationnement sécurisé disséminées sur l’ensemble du territoire », précise Emmanuel Roche. L’offre a d’ores et déjà trouvé son public avec 165 abonnés en 2019. Le prix ? Il est relativement faible pour l’usager (30 euros par an), mais aussi pour la collectivité qui investit 2500 euros par emplacement en moyenne pour une consigne de 10 boxes individuels, et 1 200 euros par emplacement pour une consigne collective de 50 places.
De bonnes pratiques d’intermodalité dans les territoires
Le vélo en intermodalité est une pratique de plus en plus répandue. En France, des efforts importants ont été consentis par les collectivités pour améliorer l’interopérabilité et l’attractivité de leurs différents systèmes de transport. Si des obstacles entravent encore le chemin des cyclistes vers une intermodalité sans coutures, de bons exemples fleurissent petit à petit sur le territoire. Morceaux choisis.
La région Centre-Val de Loire généralise l’emport des vélos à bord de ses trains
La région Centre-Val de Loire a récemment commandé 32 nouveaux trains « Omneo Premium » auprès du constructeur Bombardier. Plus confortables et plus modernes, ces nouveaux trains sont aussi plus accessibles pour les cyclistes. « Ils circuleront toute l’année sur trois lignes REMI Express, reliant le territoire à la capitale : Paris-Orléans-Tours, Paris-Bourges-Montluçon et Paris-Montargis-Nevers » précise Hugues Hausher, chargé de mission production et dessertes à la direction Transports et mobilités durables de la Région. « Ces lignes transportent chaque jour un flux important de voyageurs. Elles desservent par ailleurs des destinations très touristiques comme la gare de Blois/Chambord sur l’itinéraire de La Loire à Vélo. La Région a souhaité faciliter l’emport des vélos à bord de ces nouveaux trains pour répondre à la demande croissante des touristes à vélo. » Ce nouveau matériel roulant dispose de neuf emplacements vélos par rame (contre six pour la plupart des TER en France) : jusqu’à 27 emplacements vélos seront disponibles à bord des trains. Ces derniers sont identifiés à l’extérieur des trains grâce à des pictogrammes. La mise en route de ce nouveau service prendra cependant un peu de temps. « Aujourd’hui, seules quatre rames, sur les 32 prévues à terme, circulent sur notre réseau » explique Hugues Hausher. « Cela nous permet de tester le nouveau matériel et de préparer les équipes à son utilisation. Les 28 rames restantes seront progressivement livrées pour être intégralement opérationnelles début 2023 ». Ce projet représente un investissement important pour la Région qui a mis 460 millions d’euros sur la table pour l’achat de ces 32 nouveaux trains, soit 14,37 millions d’euros par rame. Seule ombre au tableau : bien que la technologie nécessaire ait été intégrée par le constructeur dans les nouveaux trains, la SNCF ne prévoit pas de mettre en place un système de réservation des emplacements à ce stade.
L’emport des vélos à bord des autocars : l’exemple du réseau Transisère
Depuis 2009, le département de l’Isère entend équiper progressivement tous les cars de son réseau interurbain de portes-vélos permettant d’embarquer jusqu’à six cycles. Ce dispositif facilite les déplacements car et vélo quotidiens, touristiques ou de loisirs. Devenu compétence régionale, le transport routier de voyageurs est encore délégué au Département. « Le réseau Transisère est l’un des plus conséquent à organiser sur le territoire français » explique Gilles Galland, chef du service Transports du Département. « Cela est dû au fait que les élus de la métropole de Grenoble et du Département œuvrent depuis longtemps de concert pour faire de l’Isère un territoire d’innovation en termes de transport de voyageurs. » L’impact sur la mobilité à vélo ? Au total, quinze des soixante-dix-neuf lignes du réseau sont équipées de portes-vélos, et ce toute l’année. « Les lignes concernées sont ce qu’on appelle les lignes départementales, par opposition aux lignes locales » précise Gilles Galland. « Les lignes départementales sont surtout utilisées pour les déplacements de loisirs ou touristiques. Les lignes locales, quant à elles, s’adressent principalement aux scolaires. » Les racks, positionnés à l’arrière des véhicules, permettent d’emporter jusqu’à six vélos, et ce gratuitement. Afin d’expliciter leur utilisation, le Département a réalisé un tutoriel vidéo à destination des usagers. « Nous souhaitons donner un maximum de visibilité à cette offre car elle est méconnue. Avec ce dispositif nous espérons habituer les usagers à emporter leur vélo à bord de nos lignes. Si nous ne pouvons pas permettre aujourd’hui l’emport des vélos pour les scolaires, le développement de l’intermodalité vélo et car est une opportunité pour l’attractivité touristique de notre territoire. »
Des évolutions réglementaires à venir
La LOM, promulguée le 24 décembre 2019, entend faciliter les déplacements quotidiens des Français et limiter l’impact des transports sur l’environnement. L’article 53 prévoit l’amélioration de l’interopérabilité entre vélo et transports collectifs. Trois mesures en particulier, intégrées au Code des transports, visent à développer l’intermodalité :
- Les gares de voyageurs, les pôles d’échanges multimodaux et les gares routières identifiés doivent être équipés de stationnements sécurisés pour les vélos.
- Les trains neufs et rénovés affectés à la réalisation des services ferroviaires de transport de voyageurs doivent prévoir des emplacements destinés au transport de vélos non démontés.
- Les autocars neufs utilisés pour des services réguliers de transport public routier de personnes
doivent être équipés d’un système pour transporter au minimum cinq vélos non démontés.
L’ensemble de ces dispositions sont entrées en vigueur au 1er janvier 2020, mais leurs conditions doivent être définies par la publication de plusieurs décrets au Journal officiel. Le contenu de ces décrets, déterminé par le gouvernement, est en cours de discussion avec les parties concernées. Vélo & Territoires y est associé, au nom de ses territoires adhérents et en cohérence avec son cap stratégique de la France à vélo 2030.
Organiser le stationnement des vélos pour favoriser l’intermodalité
Développer une offre de stationnement sécurisé est un enjeu primordial pour favoriser l’intermodalité à tous les niveaux. Les différents types de cyclistes trouvent un intérêt au développement du stationnement en gare. Les cyclistes utilitaires stationnent leur vélo à la journée, le temps de se rendre sur leur lieu de travail ou leur lieu d’études. Les touristes à vélo profitent du stationnement sécurisé pour réaliser une visite de quelques heures. Il est donc nécessaire de porter une attention particulière aux différents systèmes de stationnement. De nombreuses gares sont d’ores et déjà équipées de stationnement courte durée. Sur le parvis de la gare de Strasbourg, l’offre de 500 arceaux vélo est très appréciée des cyclistes du quotidien. Placé directement à l’entrée de la gare, le parking vélo bénéficie d’un contrôle social qui limite le risque de vols ou de dégradations. Du côté du stationnement longue durée, les gares multiplient les abris vélo sécurisés. Montpellier Méditerranée Métropole a mis en place une opération visant à équiper ses gares routières, ainsi que ses arrêts de tramway de véloparcs : des espaces couverts et fermés, accessibles à n’importe quelle heure, et ce toute l’année. Ces espaces ne sont en revanche accessibles qu’aux abonnés du réseau de transport local, ce qui limite leur intérêt pour les touristes à vélo. Autre système ambitieux la vélostation de Chambéry propose une consigne de 500 places avec accès direct aux quais, associée à des services de location et de réparation. Des systèmes de ce type méritent d’être multipliés à l’échelle du territoire français afin de favoriser tous les types d’intermodalité.
Antoine Coué
Cet article a été réalisé dans le cadre de l’étude Intermodalité (EMBARQ) de Vélo & Territoires, qui bénéficie du soutien technique et financier de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et du Ministère de la transition écologique et solidaire (MTES).