LuminoKrom : les enseignements sur ce marquage qui s’illumine la nuit
LuminoKrom®, la peinture routière photoluminescente, est déployée depuis deux ans sur des pistes cyclables en France. L’objectif ? Permettre aux collectivités de sécuriser les mobilités douces dans les zones non éclairées sans perturber des zones végétalisées et sans augmenter la pollution lumineuse. Retour sur ce marquage « made in France » et ses bénéfices avec Jean-François Létard, dirigeant et fondateur d’OliKrom, la société qui produit LuminoKrom.
Pouvez-vous commencer par quelques mots sur vous-même et la société que vous avez créée ?
Jean-François Létard : Je suis au départ un chercheur, directeur de recherche du CNRS, spécialisé dans la conception et la maîtrise des pigments. En 2014, j’ai créé la société OliKrom, à Pessac à côté de Bordeaux. Le métier d’OliKrom est de concevoir des pigments intelligents sur mesure et de produire des peintures, des encres, des mélanges-maîtres à changement de couleur programmé, souvent pour des applications de sécurité industrielle. Nos clients sont majoritairement des grands groupes. Dans l’aventure LuminoKrom, notre partenaire historique, le groupe Eiffage, nous a permis d’intégrer le programme I-Street qui est soutenu par l’ADEMEet axé sur la recherche de solutions au service de la « route du futur ». C’est ainsi que notre Département de R&D a conçu LuminoKrom® Vision+, une peinture routière photoluminescente qui apporte plus de visibilité de nuit aux usagers et renforce leur sécurité. Cette innovation brevetée est aujourd’hui produite à Pessac en Nouvelle-Aquitaine.
En quoi ce marquage est-il au service de la « route du futur » ?
LuminoKrom® s’inscrit dans un triptyque « Sécurité – Ecologie – Economie ». Il s’agit d’un marquage routier qui se charge à la lumière et s’illumine dans l’obscurité, créant ainsi des guides lumineux dans le noir, sans électricité ni émission de CO2. LuminoKrom® permet aux collectivités d’améliorer la sécurité nocturne des usagers dans certaines zones, en particulier des zones protégées, en évitant la mise en œuvre de coûteux systèmes d’éclairage et en réduisant la pollution lumineuse. La peinture pour équiper un kilomètre de piste cyclable coûte environ 4 000 €, soit une mise en œuvre totale 50 à 100 fois moins chère que celle d’éclairage public, sans investissement ni entretien spécifique. Sur le plan environnemental, aucune tranchée, aucune perturbation de l’environnement n’est nécessaire. La peinture LuminoKrom® se pose aussi simplement qu’une peinture classique sur des pistes neuves ou existantes. De plus, la lumière émise par LuminoKrom® est très diffuse, avec un impact minimum sur la pollution lumineuse.
Qu’est ce qui rend la peinture LuminoKrom lumineuse dans l’obscurité et quelles sont ses performances ?
Les marquages LuminoKrom® contiennent des pigments qui captent la lumière en journée et qui la rétrocèdent pendant une dizaine d’heures dans l’obscurité. Dans les faits, la peinture s’illumine en continu, ce qui explique sa couleur vert-amande en journée, et cette luminescence devient de plus en plus visible avec la baisse de la lumière environnante. C’est pourquoi plus l’environnement est sombre la nuit, plus la luminosité perçue par l’usager sera forte, et plus longtemps elle sera perceptible. La peinture LuminoKrom déployée sur les pistes cyclables est de classe E selon la norme européenne (CE ISO17398) ce qui permet d’obtenir une visibilité dans le noir jusqu’à 80 m alors qu’un phare de vélo éclaire à 8 m environ (mesures réalisées par l’IFSTTAR ).
Faut-il beaucoup de soleil pour que la lumière s’illumine ? Qu’en est-il en hiver ?
La peinture LuminoKrom se recharge avec les UV. La luminescence obtenue à la fin de la journée sera la même quel que soit l’environnement, y compris en sous-bois, et quelles que soient les conditions météorologiques, par temps nuageux, de pluie, même de brouillard. Cette peinture peut également se recharger à la lumière électrique, ce qui permet d’avoir une bonne luminescence en relai de l’éclairage public dans des zones où les lampadaires sont éteints une partie de la nuit.
Le marquage LuminoKrom est déployé depuis maintenant deux ans. Quels sont les principaux usages constatés, les applications les plus recommandées ?
A ce jour, plus de vingt collectivités ont déployé LuminoKrom® pour sécuriser des mobilités douces. A chaque demande de collectivités ou applicateurs, nous intervenons en appui technique (sur la base des différents retours d’expérience) pour proposer le marquage le plus adapté à l’objectif sécurité identifié. LuminoKrom® peut ainsi répondre aux besoins de :
- Guider les usagers sur les aménagements cyclables non éclairés avec un marquage central sur la voie qui devient un guide lumineux la nuit ;
- Anticiper les dangers, par le marquage des bandes à l’abord d’un virage, d’un cours d’eau ;
- Alerter, par le renforcement de la visibilité de nuit de zones accidentogènes tels que croisements, rétrécissement de pistes.
Aujourd’hui de nombreuses réalisations sont situées en zones péri-urbaines, sur des voies fréquentées pour des trajets du quotidien ou pour la pratique de loisirs avec une part importante des piétons, joggeurs, personnes à trottinettes… Notre ambition est de continuer à déployer cette technologie en ciblant les zones dépourvues d’éclairage public. C’est d’autant plus important que la fréquentation cyclable est en plein essor, et que l’on constate un accroissement des accidents. LuminoKrom® est l’une des réponses pour sécuriser et encourager les déplacements nocturnes, en particulier les allers-retours « domicile-travail », dans un contexte de crise sanitaire et à l’approche de l’hiver. Un autre enjeu concerne les cheminements piétons de nuit, dans les communes qui éteignent l’éclairage, aux abords d’enceintes sportives, sur des aires d’autoroute ou de sortie d’urgence, dans des grands bâtiments comme des parkings, …
Quels sont les principaux freins que vous rencontrez quand vous parlez à des collectivités ?
Le premier contact est toujours très positif, avec de nombreuses questions sur le fonctionnement de cette peinture, sa mise en œuvre, ses usages. Nous constatons un besoin des collectivités d’expérimenter cette peinture en l’appliquant sur une petite surface. Or, nous savons que pour ressentir le bénéfice réel de cette peinture en termes de sécurité et de guidage pour les usagers, il est nécessaire de l’appliquer sur des espaces significatifs, au minimum 400 m pour une piste cyclable, ce qui correspond à un investissement d’environ 2 000 € hors applicateur. Un autre questionnement porte souvent sur le prix, notre produit pouvant apparaitre comme cher (environ 70 €/kilogramme) comparé à une peinture classique vendue à moins de 10 €/kilogramme. Mais l’apport est tout autre, LuminoKrom® étant aujourd’hui la seule solution permettant de déployer une signalisation lumineuse de façon simple et rapide.
Envisagez-vous de vous développer hors de France ?
Notre vision initiale était de nous centrer sur la France en 2020. Mais c’est vrai que nous sommes fréquemment sollicités par des parties prenantes étrangères, et une première piste vient d’être équipée en Belgique, près de Louvain. La démarche a été particulièrement intéressante puisque le gestionnaire du réseau RAVel, le SPW, a sollicité l’avis des usagers pour choisir la première voie verte bénéficiaire du marquage LuminoKrom®. Nous sommes actuellement en discussion avec d’autres grandes villes européennes pour des déploiements en 2021, mais il est trop tôt pour en parler.
Quelles sont vos grandes fiertés concernant LuminoKrom ?
La première, c’est la reconnaissance de la profession, au travers de la labellisation de LuminoKrom® par le comité d’innovation routes et rues en 2019, de sa sélection pour le prix de la Sécurité routière en 2020. La deuxième vient des nombreux retours positifs de la part des collectivités ou des usagers qui plébiscitent cette peinture quand ils l’ont vue à l’œuvre, comme en témoigne l’enquête publique d’Annecy par exemple où près de 90 % des personnes interrogées demandent à l’étendre sur d’autres sites. Mais notre plus grande fierté est d’avoir créé un produit « Made in France » qui s’inscrit dans le défi de construire les infrastructures de demain, plus sûres, plus économes, et plus durables.
Cet article est réalisé dans le cadre d’un partenariat de visibilité avec Vélo & Territoires en 2020.