Railcoop, le ferroviaire au service des territoires
Railcoop, société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) créée en 2019 dans le Lot, est la première coopérative en France dédiée au chemin de fer. Sa mission ? Développer des solutions ferroviaires innovantes et adaptées aux territoires grâce à l’intelligence collective des cheminots, des usagers, des entreprises et des collectivités locales. Avec son projet phare, la réouverture de la ligne Lyon-Bordeaux en 2022, Railcoop souhaite montrer que le ferroviaire peut aussi être coopératif. Une opportunité pour la politique cyclable des territoires ? Réponse avec la directrice générale déléguée de l’entreprise, Alexandra Debaisieux.
- Vélo & Territoires : Pouvez-vous revenir sur la création du projet Railcoop ?
Alexandra Debaisieux : L’idée de Railcoop est née en 2019 de la rencontre de gens passionnés par le train et le milieu coopératif. Ces derniers ont fait le constat suivant : le ferroviaire, pour le fret aussi bien que pour le transport de voyageurs, reste largement sous-exploité. Ce constat est lié au fait que les opérateurs historiques, SNCF Voyageurs et Fret SNCF, se concentrent peu à peu sur les liaisons à grande vitesse et à fort volume de trafic. Faute de rentabilité, de nombreuses lignes sont sous-exploitées ou complétement supprimées. Ainsi, les liaisons Intercités ont diminué de 37 % entre 2017 et 2018. Pourtant la demande en transport ferroviaire n’a jamais été aussi forte, en particulier dans les territoires ruraux. L’opportunité de développer de nouvelles lignes est importante. Cette opportunité, elle est d’abord réglementaire avec l’ouverture totale à la concurrence du marché ferroviaire à compter de décembre 2020. Mais elle est aussi liée à la volonté des citoyens de se déplacer de manière plus durable. Dans un sondage de l’Arafer en avril 2019, 61 % des 5637 votants se déclaraient prêts à prendre le train plutôt que l’avion pour des raisons écologiques*.
- Quel est l’objectif principal de votre société ?
La mission de Railcoop est de renforcer l’usage du ferroviaire dans tous les territoires. La libéralisation du marché ferroviaire nous offre une occasion d’augmenter la part modale du train en développant de nouveaux services complémentaires à ceux qui existent déjà. L’objectif n’est pas de nous positionner en concurrence avec les grands opérateurs de transport, mais en complément de ces derniers. Le modèle coopératif permet de développer de petites et moyennes lignes, souvent jugées moins rentables car moins fréquentées. Du côté des transports de voyageurs, notre projet « test » sera la réouverture de la ligne Lyon-Bordeaux en 2022, qui vient d’être actée par l’Autorité de régulation des transports. Cette ligne de 639 km passant par le nord du massif central avait vu son dernier train supprimé en 2012. Nous souhaitons relancer une offre de transport régulière sur ce trajet d’intérêt national. Trois allers-retours quotidiens sont envisagés dans un premier temps qui permettront de relier les deux métropoles en moins 7 heures. Mais l’atout de cette ligne sera surtout de développer des synergies avec les différentes offres de transport des onze villes traversées.
- Les avantages d’une SCIC sur le marché ferroviaire ?
La SCIC fonctionne comme une société classique : elle a une obligation de rentabilité. En revanche, elle est dite « coopérative » car sa gouvernance est régie par une règle particulière : une personne est égale à une voix en assemblée générale. Cette règle implique davantage les bénéficiaires dans la gouvernance de la société et crée un esprit de communauté, à l’image de ce qui existe dans le domaine de l’énergie, de l’autopartage… Mais cela permet surtout aux sociétaires, qu’ils soient personnes physiques ou collectivités, d’élaborer ensemble la stratégie de la société. C’est un moyen pour les territoires d’influer directement sur la création des services ferroviaires qu’ils jugent indispensables. D’autres avantages ? Une majorité des bénéfices doivent être obligatoirement réinjectés dans l’entreprise, soit un effet de levier fort pour l’investissement. De cette façon nous pourrons nous positionner sur des services jugés peu rentables par la SNCF mais qui permettent tout de même d’atteindre un équilibre financier.
- Quel sont les liens possibles avec la politique cyclable des territoires ?
Pour ce qui est du vélo, tout est encore à imaginer. L’avantage de notre modèle de gouvernance, c’est justement la co-construction du train de demain, en réponse aux besoins des territoires. Nous souhaitons développer autant que possible la capacité d’emport de vélos de nos trains : sur la ligne Lyon-Bordeaux, le matériel roulant disposera d’un espace spécifiquement dédié au stockage, d’environ 19m². De nombreux vélos non démontés pourront être y rangés : vélos classiques, tandems, mais aussi vélos-cargos et autres vélos spéciaux. Côté services, nous avons prévu de déployer des agents d’accueil dans toutes les gares desservies. Ces agents auront pour mission de vendre des titres de transport, mais surtout de jouer le rôle d’animateur territorial. Informations touristiques et pratiques, location de vélos, aide à l’embarquement du matériel… Ils constitueront une véritable interface entre les territoires, les usagers et le train. Il ne faut pas oublier que l’intérêt du ferroviaire ne se résume pas seulement à son utilité de mode de transport : c’est aussi un outil de développement économique pour les territoires.
- Quelles sont les prochaines étapes pour votre société ?
L’enjeu pour nous est de construire une communauté et d’enrôler un maximum de sociétaires afin de réunir le capital social nécessaire à l’obtention d’une licence d’entreprise ferroviaire, soit 1,5 million d’€. Une fois cette étape passée, nous pourrons mettre en place la ligne Lyon-Bordeaux, notre première grande ligne voyageurs, mais aussi un service de fret régulier local. Notre objectif est d’étendre notre réseau et d’expérimenter de nouvelles grandes lignes ou des dessertes locales, selon les besoins des territoires, dès 2024.
Propos recueillis par Antoine Coué
Pour devenir sociétaire de Railcoop :
Rendez-vous sur le site Internet de la société
*ARAFER, 2019, Sondage Le Figaro, 5637 votants, avril 2019
Cet article a été réalisé dans le cadre de l’étude Intermodalité (EMBARQ) de Vélo & Territoires, qui bénéficie du soutien technique et financier de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et du Ministère de la transition écologique et solidaire (MTES).