Enquête Territoires 2019 : l’ambition vélo en chiffres et en faits
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°58
2020 sera-t-elle l’année du vélo ? À l’approche des élections municipales, la petite reine fleurit dans les programmes politiques comme un outil incontournable d’amélioration du cadre de vie des villes et des territoires ruraux. Qualité de l’air, exercice physique, convivialité, économie de proximité, apaisement des espaces publics… La liste des arguments en faveur d’un retour de vélo dans les territoires est longue. Mais au-delà des discours et des promesses électorales, quelle est l’action réelle des collectivités pour le vélo ? 524 régions, départements et intercommunalités ont répondu à l’Enquête Territoires 2019 conduite par Vélo & Territoires. Les retours illustrent l’« appétence cyclable » des collectivités. Mais ils montrent aussi que la marge de progrès est importante pour mettre le vélo au premier plan des politiques publiques et créer de véritables systèmes cyclables.
Une enquête faite par et pour les collectivités
Pour cette enquête d’envergure nationale, Vélo & Territoires a misé sur une démarche collaborative en impliquant les collectivités à chaque étape. Le taux de réponse sans précédent confirme la mobilisation des territoires et permet de cibler les actions prioritaires pour tenir le cap de la France à vélo 2030.
Une démarche collaborative
Depuis sa première édition en 1998, l’enquête pose la question épineuse : quelles ambitions des collectivités pour le vélo et quels moyens pour les atteindre ? Côté méthodologie, l’enquête a été adaptée aux enjeux territoriaux actuels. Pour l’édition 2019, Vélo & Territoires a privilégié
une démarche collaborative pour inventorier l’action vélo des territoires. Concrètement ? Dans le cadre de sa mission d’accompagnement à la mise en oeuvre des politiques publiques, l’Ademe a soutenu la réalisation du projet. Le Cerema et l’AdCF étaient également de la partie et apportaient leur soutien technique. Afin de saisir au mieux les enjeux actuels des collectivités, quatre territoires « bêta-testeurs » ont par ailleurs été associés à la démarche. Résultat : un questionnaire en ligne de plus de 100 questions a été adressé à l’ensemble des 18 régions, 101 départements et 1 258 EPCI à fiscalité propre (communautés de communes, d’agglomération, urbaines et métropoles) du territoire français. Au sommaire de ce questionnaire ? L’ensemble des composants d’une politique cyclable transversale et équilibrée.
Une participation record
Au total, 524 collectivités participent à l’enquête. Un record pour une enquête française sur les politiques cyclables. 14 régions, 92 départements, 37 intercommunalités et 43 « autres » (syndicats mixtes, pôles d’équilibre territoriaux et ruraux, communes, etc.) répondent à l’appel lancé par Vélo & Territoires. La mobilisation va au-delà des adhérents du réseau et montre un intérêt généralisé pour le vélo. Autre fait marquant ? La représentativité de l’enquête. Avec 78 % des régions, 91 % des départements et 30 % de l’ensemble des EPCI à fiscalité propre, elle couvre une grande partie du territoire national.
Les EPCI, nouveaux venus dans l’Enquête Territoires
Pour la première fois, l’enquête interroge les intercommunalités, en plus des régions et des départements. Parmi les EPCI répondants, on compte 72 % de communautés de communes, 23 % de communautés d’agglomération,
1 % de communautés urbaines et 3 % de métropoles. La coopération intercommunale, échelon montant de l’action publique, réorganise le paysage traditionnel de la sphère publique locale. La gestion des services publics, l’aménagement de l’espace, le développement économique sont autant d’enjeux désormais au cœur des intercommunalités. Quid du vélo ? Les EPCI peuvent agir sur deux volets : l’aménagement des infrastructures cyclables grâce à l’intégration de la compétence voirie au niveau intercommunal, ou la mise en place de services vélo (systèmes de location, intermodalité, etc.) grâce à la compétence d’autorité organisatrice de la mobilité (AOM). En 2020, la Loi d’orientation des mobilités (LOM) réorganise en partie la répartition de la compétence mobilité et vise une couverture intégrale du territoire national en AOM. Les communautés de communes qui ne sont pas AOM (plus de 900 sur 1 000 existantes selon l’AdCF) ont jusqu’au 31 décembre 2020 pour décider d’intégrer cette compétence. Dans le cas contraire, elle incombera à la région concernée.
Des territoires mobilisés, mais des défis à surmonter
Quels enseignements tirer de cette enquête ? Les stratégies de planification, certes plus nombreuses que lors des enquêtes précédentes, gagneraient à être plus ambitieuses. Les ressources humaines se renforcent mais les équipes vélo peinent à diffuser la « culture vélo »
auprès de leurs collègues. Les budgets vélo sont en hausse mais ne soutiennent pas la comparaison avec les voisins européens sur cette thématique. In fine, un bilan positif qui invite les collectivités à garder le cap et à faire feu de tout bois en 2020.
Planifier une politique cyclable transversale
La planification de la politique cyclable est un prérequis incontournable. Les stratégies vélo
coordonnent la mise en oeuvre d’aménagements, de services vélo pertinents et de communications. L’Enquête Territoires inventorie ces stratégies et leurs formes. Côté régions, la réforme de la loi NOTRe n’a pas été sans impact : -15 % de schémas vélo par rapport à l’enquête précédente de 2014. En dépit de cette réorganisation territoriale, 85 % des régions sont désormais dotées d’un schéma. Le défi pour la planification cyclable en région est double. Premièrement, il s’agit de compléter les stratégies existantes en développant de véritables plans vélos : des politiques cyclables transversales qui comprennent non seulement les infrastructures cyclables et le tourisme, mais aussi l’intermodalité, les services et l’accompagnement au changement des pratiques. Deuxièmement, via leur rôle de chef de file de « l’intermodalité et de la complémentarité entre les modes de transport » conféré par les SRADDET, les régions doivent s’atteler à la mise en cohérence des schémas départementaux et intercommunaux. Pour les départements l’heure est à la consolidation des stratégies existantes. Comme en 2014, 90 % d’entre eux disposent d’un schéma vélo. Le défi pour les départements ? Créer de véritables plans vélo ambitieux en accord avec l’évolution de leurs compétences. Côté solidarité, les départements peuvent favoriser la mobilité inclusive en ciblant en priorité les jeunes et les publics les plus vulnérables. Mais ils peuvent également développer des dispositifs d’accompagnement (par exemple : contrats de territoires, ingénierie départementale…) pour inciter les EPCI à créer leurs propres schémas vélo. Les intercommunalités, quant à elles, montrent un intérêt manifeste pour le vélo, mais sont globalement peu dotées en stratégies de planification. C’est particulièrement le cas des groupements de communes les moins peuplés : 56 % de l’ensemble des 375 intercommunalités interrogées ont un schéma directeur vélo ou équivalent, contre 40 % de la catégorie des moins de 20 000 habitants. Le développement de schémas vélo est un enjeu pour ces territoires ruraux et peu denses où les alternatives à la voiture individuelle peinent à émerger.
Le besoin d’experts pour le vélo
Les collectivités ont plus que jamais besoin d’une expertise vélo qualifiée pour mettre en oeuvre une politique cyclable intégrée à l’échelle du territoire. Cette expertise implique de connaître les enjeux du vélo, ses aspects législatifs et les démarches réglementaires pour planifier, financer, concevoir et signaler les itinéraires cyclables. Dans les régions, les moyens humains dédiés au vélo ont augmenté de 77 % par rapport à 2014. Ce chiffre est cependant plus le reflet de la fusion de certaines régions qu’une réelle augmentation. Outre l’accroissement des moyens humains, l’heure est à la création d’une véritable culture vélo au sein des régions : en développant une vision d’ensemble et inter-services d’une part ; en sensibilisant les élus et les techniciens aux atouts écologiques, économiques et sanitaires du vélo d’autre part. Côté départements, les équipes vélo ont triplé depuis treize ans avec 2,7 ETP par département en moyenne en 2019 contre 1,7 en 2014 et 0,8 en 2006. Si cette évolution est encourageante, l’expertise vélo dans les services départementaux mérite d’être renforcée pour s’affirmer par rapport à une culture routière encore dominante. Chez les EPCI enfin, les effectifs vélo s’élèvent en moyenne à 0,8 ETP par intercommunalité en 2019, avec néanmoins de grandes disparités selon les territoires. Sans surprise, les EPCI les plus peuplés disposent d’équipes vélo fournies, alors que ceux de moins de 50 000 habitants y consacrent rarement un poste complet. Le recrutement d’une ingénierie territoriale qualifiée est indispensable dans ces territoires où la marge de progrès est importante.
Les budgets, le nerf de la guerre
Financer les projets vélo est incontournable pour une politique cyclable réussie. Encore faut-il que les budgets soient à la hauteur des besoins. En région, l’Enquête Territoires 2019 révèle une moyenne de 4,9 millions d’euros dépensés pour le vélo, soit 0,94 euros par an et par habitant. Un budget par habitant en hausse de 25 % depuis 2014. Même tendance chez les départements : 3,75 euros sont consacrés à la petite reine en 2019 contre 2,47 euros en 2014, soit une hausse de 37 % du budget vélo moyen par habitant. Une évolution d’autant plus significative dans un contexte de maîtrise des dépenses de fonctionnement. Du côté des intercommunalités, 1,3 million d’euros en moyenne, soit 9,51 euros par habitant, sont mobilisés en 2019 pour le vélo. Ces chiffres sont néanmoins à nuancer. Premièrement, parce que les budgets vélo varient fortement en fonction de la taille des EPCI. Deuxièmement, parce que ces budgets sont en partie issus de financements régionaux et départementaux et comprennent donc des doubles-comptes.
Quels enseignements tirer de ces chiffres ? Les budgets vélo augmentent irrémédiablement mais semblent encore minces en comparaison de ceux de certains voisins européens. En Allemagne, le plan vélo national évaluait déjà en 2012 l’investissement des villes pour le vélo de 8 à 19 euros par an et par habitant. Le standard néerlandais atteint de son côté les 30 euros par an et par habitant. Ces chiffres concernent néanmoins des territoires d’échelles et de contextes différents. S’il n’est pas toujours opportun de se comparer au voisin, ces données peuvent fixer un cap à suivre pour les territoires français.
L’infrastructure, colonne vertébrale de la politique cyclable
Qui est en charge de la réalisation des infrastructures cyclables ? Historiquement, les communes et les départements en sont les dépositaires. Selon les résultats de l’étude, 91 % des départements réalisent des infrastructures vélo en maîtrise d’ouvrage directe. Les régions, quant à elles, n’interviennent qu’en situation exceptionnelle : en Auvergne-Rhône-Alpes par exemple, la Région prend à sa charge la réalisation d’une petite portion de l’EuroVelo 17 – ViaRhôna ; en Bretagne la gestion des canaux est assurée par la Région qui en est propriétaire. Les EPCI, pour leur part, intègrent de plus en plus la compétence voirie au niveau intercommunal, par soucis de cohérence territoriale. La moitié des EPCI interrogés assurent la maîtrise d’ouvrage d’itinéraires cyclables. Quel est l’investissement des collectivités pour l’infrastructure cyclable ? En fonction
du contexte, de la topographie du territoire et du revêtement utilisé ces dépenses varient fortement. Pour un aménagement en voirie partagée (bande cyclable par exemple) les collectivités déboursent entre 20 000 et 50 000 euros par kilomètre*. Un aménagement en site propre « classique » (de 2 à 2,5 m de largeur) nécessite un investissement de 120 000 à 170 000 euros par kilomètre ; enfin, un site propre plus large (de 3 à 4 m) oscille entre 200 000 et 500 000 euros par
kilomètre. À titre de comparaison, un rapport du Conseil général des ponts et chaussées estimait en 2006 qu’un kilomètre de route neuve (2×2 voies) nécessite en moyenne un investissement
de 4,91 millions d’euros.
Quelles sont les avancées de cette étude ? Les données récoltées dans le cadre de l’enquête sont une synthèse des actions des collectivités pour le vélo en 2019. Elles mettent en avant les bonnes pratiques des territoires pour le développement du vélo mais identifient aussi les défis. Cette matière inédite permet à Vélo & Territoires et ses partenaires de conseiller chaque niveau de collectivité pour la construction de politiques cyclables cohérentes et équilibrées. Le cap fixé par Vélo & Territoires de la France à vélo 2030 passe par la mise en cohérence des politiques cyclables et nécessite un engagement politique fort des territoires. À la veille des élections municipales et un an avant les élections départementales et régionales, Vélo & Territoires invite les collectivités à utiliser ces données précieuses pour fixer des objectifs ambitieux et concrets. Rendez-vous en 2024 lors de la prochaine édition de l’Enquête Territoires pour savoir si ces objectifs ont été atteints.
* Les coûts d’aménagements cyclables sont indiqués hors-taxes et comprennent : les études, la réalisation, la signalétique et la mise en place du mobilier.
Antoine Coué
Pour aller plus loin :
Télécharger le rapport complet de l’Enquête Territoires 2019