S’Cool Bus, le manège enchanté
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n° 56
Zoom sur un mode de transport scolaire à suivre, en ce sens qu’il concilie l’enthousiasme des petits et la lucidité des plus grands.
Au commencement il y a un parcours, une prise de conscience et l’envie de procéder par contamination. Le parcours, c’est celui d’Amaury Piquiot et ses amis. Hockeyeur de haut niveau et étudiant en école de commerce, le Rouennais a appris du plus chaleureux des sports de glace les vertus de la solidarité et le potentiel miraculeux, face à un objectif fixé, de la mise en commun de moyens humains lorsqu’ils entrent au service d’une conviction. La prise de conscience, c’est à l’été 2011 qu’elle s’opère. Un stage de fin d’études aux Pays-Bas permet au Français de rencontrer à Aalten, près de Nimègue, l’ingénieux ingénieur Thomas Tolkamp, un constructeur dont la démarche et les réalisations se situent pile au carrefour des aspirations éco-responsables et des compétences académiques du jeune homme alors âgé de 23 ans. La contamination ? Dans le désordre : un débriefing, une homologation ministérielle, un brevet, 12 000 euros levés via le fonds participatif européen Ulule, un « tope-là » avec Vincent Guezou, Nicolas Catalino et quelques autres amis d’enfance et de patinoire plus tard, et le projet S’Cool Bus voit le jour.
Petite reine et petits rois
Comme son nom l’indique, l’idée est d’allier transport, école et « coolitude ». Comment ? En proposant un service gratuit de « ramassage actif » (en clair : si les « ramassés » ne pédalent pas, le S’Cool Bus de 200 kg n’avance pas !) et de transport scolaire sur un vélo collectif à assistance électrique, avec abri anti-pluie amovible, 15 km/h de vitesse maximale et sur des distances ne dépassant a priori pas les six kilomètres. Après six années d’existence et un scepticisme initial à dompter, dix lignes tournent quotidiennement et six autres se baladent au gré des besoins – un accompagnement sur 15 km pour une sortie en classe verte figure même parmi les grands souvenirs de ces premières épopées. Si les fourchettes basse et haute de l’âge des passagers de ces véhicules mi-bus, mi-vélo sont comprises « entre huit mois et seize ans », le gros des troupes se situe au niveau de l’école élémentaire, soit entre les six ans des CP et les onze des CM2. La tranche d’âge idéale pour s’associer au programme gouvernemental Savoir rouler à vélo, lancé au printemps 2019 et en phase totale avec la philosophie « Rien de ce qui touche au vélo en milieu scolaire ne nous est étranger » qui caractérise le champ d’action de la compagnie.
Un carrosse, une avancée
Pas à un néologisme près, les conductrices et les conducteurs de ces rosalies améliorées s’appellent les « cool’ductrices » et les « cool’ducteurs ». À la fois chauffeurs, animateurs et éducateurs, ils n’obtiennent le droit de poser les mains sur le volant du 9-selles- 18-pédales de 4,15 m de long et 1,20 m de large qu’après huit à quinze jours de formation théorique et pratique. Deux ans de permis de conduire, un BAFA ou une expérience dans l’encadrement figurent notamment au rang des prérequis incompressibles pour pouvoir passer le permis S’Cool Bus et rayonner, pour commencer, dans l’agglomération Seine-Eure et le grand territoire normand. « Grâce à une formation simplifiée, une trentaine de cool’ducteurs ont déjà été formés par la Communauté d’agglo ».
Oyez, oyez
Comment bénéficier de ce service ? « Aujourd’hui, toutes les communes de l’agglomération peuvent en faire la demande à leur mairie » explique Amaury Piquiot. Concrètement, c’est par voie d’affichage et par un mot dans le carnet de liaison des écoliers que la compagnie se rappelle au bon souvenir des parents à l’approche du printemps. L’inscription se fait jusqu’au 30 juin via le site Internet. Communiqué au plus tard aux familles une semaine avant la rentrée de septembre, un algorithme permet de calculer le parcours de tournée le plus cohérent possible pour le cool’ducteur et ses jeunes passagers, tant en termes de proximités géographiques d’une habitation à l’autre que d’itinéraires sécurisés à privilégier jusqu’à l’établissement scolaire de destination. Victime de son succès, S’Cool Bus veille également à proposer des roulements, afin de permettre à un nombre maximal d’élèves de bénéficier de ce transport actif de plus en plus hype.
Croissance fertile
Sous format associatif de 2014 à 2016 avant de franchir le pas de la société et son combo gérant, direction commerciale, équipe développement et pool maintenance, la compagnie seinomarine, basée à présent à Louviers (Eure), compte aujourd’hui treize salariés et seize vélos manufacturés au fil des ans et des demandes, en partenariat avec l’ami néerlandais, dont dix estampillés « nouvelle génération ». Mieux : le succès en crescendo a permis au collectif d’entrepreneurs de racheter les plans du prototype, avec l’objectif à terme de sortir une usine de terre pour en industrialiser la fabrication. « Les sollicitations viennent aujourd’hui du monde entier » souligne un Amaury au courant de l’existence de dispositifs analogues du côté de Dunkerque ou de Saint-Nazaire, mais pas peu fier de voir les efforts visionnaires de son collectif reconnus désormais bien au-delà du cercle des (rares) convaincus de la première heure. Après plusieurs années de bénévolat et de financement par la publicité, l’appel d’offres remporté pour trois ans a fait du bien.
Cycle long
La matinée-type d’une « cool’ductrice » ou d’un « cool’ducteur » ? Six heures : réveil. 06 h 30 : arrivée au garage, vérification du matériel (pneus, pompe, batterie, triangle, gilets phosphorescents, casques). 07 h 40 : début de la tournée et premier enfant à bord. 08 h 20 : dépôt du groupe devant le portail de l’école… « D’après les retours de parents, ce ramassage actif a changé leur vie et celles de leurs mômes. Plusieurs nous ont dit que, les matins où leur enfant est prévu sur la tournée, il est le premier levé alors que d’habitude il faut s’y prendre à plusieurs fois pour le réveiller. Une autre maman nous a dit qu’à force de se retrouver pendant six mois tous les matins au feu tricolore, elle toute seule dans sa voiture et son enfant tout joyeux devant elle en train de pédaler avec ses camarades, elle a fini par laisser sa voiture et prendre à son tour un vélo pour se rendre à son travail… Que le comportement des petits influence celui des grands, elle a toujours été là notre intuition de départ. Ces retours d’expériences la valident totalement. »
Retour d’expérience
Qu’il prenne la forme du vélo collectif façon S’Cool Bus ou d’une « file indienne » plus classique, la mise en selle matinale des écoliers fait doucement des émules, ainsi que le racontait à chaud en juin dernier Karine Fouquet, conseillère départementale de Loire-Atlantique, à propos d’une initiative similaire dans la commune de Chaumes-en-Retz.
« Lundi 3 juin 2019, Journée mondiale de la bicyclette… Huit heures du matin, les dix bénévoles assurant le service de VéloBus dans la commune débutent leur tournée. À l’initiative de la municipalité, et dans le cadre de la semaine Tous à vélo, les parents des enfants scolarisés dans les six écoles calmétiennes ont pu inscrire leur(s) enfant(s) à ce service de ramassage scolaire. Tout au long de la semaine, les élèves peuvent être ainsi encadrés et sécurisés par des adultes pour leur trajet “vélo” jusqu’à l’école. Sept circuits sont ainsi proposés toute la semaine sur la commune pour quatre écoles. Les élèves, équipés de gilets de haute visibilité et de casques, sont pris en charge sur des circuits déterminés par les bénévoles. Afin de sécuriser ce convoi, un des vélos encadrant est équipé d’une frite de piscine dépassant allègrement de son vélo et symbolisant le “Un mètre de sécurité” que doivent respecter les automobilistes qui veulent procéder à un dépassement. Le premier bilan est très positif : respect des consignes de la part des enfants, respect des automobilistes vis-à-vis du VeloBus (qui peut représenter jusqu’à 18 vélos en file indienne), des enfants qui, après un premier essai concluant, demandent à leurs parents de les inscrire pour la semaine, et des sourires… Trente-huit allers-retours ont été réalisés pour cette première journée, de quoi alimenter de 142 km le compteur du “défi des 7 000 km” (soit 1 km parcouru par Calmétien). À noter : ce sont 9 % des élèves inscrits dans la commune qui vont participer à cette initiative. Un chiffre qui rappelle l’objectif de part modale du vélo fixé par le Plan national vélo annoncé à l’automne dernier. »
Anthony Diao
En savoir plus : www.scool-bus.org