Donner une deuxième vie aux maisons éclusières
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°54
L’itinérance le long d’une voie d’eau, que ce soit à vélo, à pied ou en bateau, est autant une expérience culturelle et patrimoniale que le reflet d’une histoire fluviale. Mais lorsque le cheminement est jonché de maisons éclusières délabrées, cette expérience est mise à mal. La première fonction des maisons éclusières ? L’hébergement du personnel en charge de la voie d’eau. Avec la mutation du secteur, certaines maisons sont dorénavant inoccupées. Comment donner une deuxième vie aux maisons vacantes tout en valorisant ce patrimoine historique ? Retour sur des initiatives passées ou en cours, portées par Voies Navigables de France (VNF) ou bien des collectivités.
Quelles maisons éclusières revaloriser ?
La majorité des maisons éclusières sont occupées, soit par des agents soit par des tiers.
Des chiffres précis ? Difficile d’en obtenir à l’échelle nationale : chaque gestionnaire gère son répertoire patrimonial et, au sein de VNF, le recensement se fait à l’échelle des directions territoriales. Par ailleurs, toutes les maisons éclusières ne sont pas forcément valorisables. Leur potentiel dépendra beaucoup de l’accessibilité ou de l’emplacement d’une maison. La tendance est à l’augmentation du nombre de maisons vacantes : automatisation des écluses, départs à la retraite, mutations du secteur mais aussi des attentes des éclusiers… Les maisons inoccupées se dégradent plus vite, engendrent un coûteux entretien, risquent d’être occupées illégalement et donnent une mauvaise image des voies d’eau. En réponse, certains acteurs engagés dans le développement de l’attractivité des rivières et des canaux ont mis en place des démarches de valorisation de maisons éclusières.
Exemples de maisons revalorisées
Le long du Canal du midi et du Canal latéral à la Garonne, une quarantaine de maisons éclusières ont été revalorisées depuis 2005 ; en Bretagne, une vingtaine de maisons ont trouvé preneur depuis 2013 ; dans la Somme, six maisons ont ouvert leurs portes depuis 2016. Le but ?
Développer des activités au pied des voies d’eau et dynamiser l’attractivité de ces dernières. Les services sont variés : restauration, hébergement, location de matériel de loisirs (canoës, vélos…), activité associative, accueil et informations touristiques, parfois plusieurs de ces activités à la fois. Les maisons font alors l’objet de Conventions d’occupation temporaire signées entre le propriétaire et les porteurs de projet, en contrepartie d’une redevance, souvent ajustée en fonction des travaux à réaliser. La mise en route de ces services suppose généralement la réalisation de travaux, dont le coût dépend de l’état de la maison. Leur prise en charge varie d’un cas à l’autre entre un investissement uniquement supporté par le porteur de projet et une participation du propriétaire, sur le clos et couvert par exemple, éléments assurant l’étanchéité à l’eau et à l’air du bâtiment.
L’appel à projets : la clé des démarches de valorisation
Afin d’identifier les porteurs de projet à même de lancer une activité dans une maison éclusière, les gestionnaires ont recours à des appels à projets. Cet outil a différents avantages : il définit le cadre et les enjeux de la valorisation attendue par un cahier des charges, communique sur l’opportunité en question et sélectionne in fine le meilleur candidat. Dans les directions territoriales Centre-Bourgogne et Sud-Ouest de VNF, les appels à projets étaient jusqu’ici publiés au coup par coup, en fonction des opportunités et des maisons disponibles. Aujourd’hui, des réflexions sont en cours pour définir des stratégies plus globales afin de mieux planifier l’action. Il s’agit par exemple d’évaluer les besoins de services à l’échelle d’un itinéraire ou bien de prioriser les projets et les investissements.
Rhône-Saône : un appel à projets ciblé
La direction territoriale Rhône-Saône a lancé un appel à projets sur douze maisons éclusières en 2018. Six d’entre elles sont situées le long de la Saône et de la V50 – Moselle Saône à Vélo ; les six autres se trouvent sur le Canal du Rhône au Rhin et l’EuroVelo 6. Un an de travail a été nécessaire avant la publication de cet appel. D’abord, un bilan des démarches menées ailleurs a été mené : cahiers des charges, contacts avec les chefs de projet, bonnes pratiques… Puis, une analyse du parc immobilier a été réalisée. Sur 164 maisons éclusières, 99 n’étaient pas utiles au service mais pas nécessairement disponibles. Soixante-huit maisons ont ensuite fait l’objet d’une fiche détaillant leurs caractéristiques (accessibilité, environnement général, intérêt touristique, concurrence…). Seule une trentaine de maisons ont fait l’objet d’une seconde phase d’analyse évaluant leur potentiel touristique. Les douze maisons finalistes sont celles dotées du plus gros potentiel à court terme.
Les enjeux d’une valorisation réussie
Diversifier les activités
En Loire-Atlantique, quatre maisons ont fait l’objet d’un appel à projets porté par le Département, trois d’entre elles sont aujourd’hui en activité. Un des enseignements de cette expérience est clair : il est vital de développer plusieurs services pour vivre de l’activité, voire de ne pas dépendre uniquement des revenus que génère la maison éclusière.
Autre conseil, pour contrer la saisonnalité de l’activité touristique, il est préférable de s’implanter localement et d’orienter l’offre également vers la population résidente. L’originalité du département de la Loire-Atlantique a été de favoriser des projets s’inscrivant dans « l’esprit canal » et dans le développement durable. À l’écluse de Cramezeul, un projet de fournil à bois complété d’activités de restauration, jardin pédagogique et activités culturelles a par exemple été retenu. Dans la Somme, le Département fait le même constat : les maisons éclusières sont des lieux atypiques. Les usagers y cherchent autre chose qu’un service « standard ». La personnalité des locataires joue alors beaucoup dans le succès de l’activité.
Inscrire les appels à projets dans une logique d’itinéraire
Trouver une nouvelle fonction pour les maisons éclusières inoccupées résonne avec le besoin accru des itinérants le long des canaux. Faisant le choix de la lenteur, ils ont en effet besoin d’une densité de services variés tous les dix, vingt ou trente kilomètres. C’est pourquoi le cadencement de l’offre est un enjeu pour la valorisation de maisons éclusières. Il faut alors mieux anticiper les besoins des touristes, notamment à vélo, tout en considérant l’offre existante alentour, afin d’orienter les services proposés par les porteurs de projet.
Pour y parvenir, le partenariat avec les territoires est incontournable. Fins connaisseurs des dynamiques locales, interlocuteurs des professionnels du tourisme, développeurs de destinations touristiques, les collectivités et leurs organismes dédiés au tourisme contribuent souvent à ces projets, quand ils n’en sont pas les premiers initiateurs. VNF, pour sa part, associe déjà étroitement les intercommunalités à ses démarches. À l’avenir, articuler davantage ces initiatives aux travaux des comités d’itinéraires cyclables en lien avec les Régions et les Départements pourrait renforcer
la portée de cet effort.
Perspective : mobiliser de gros porteurs de projet
Aujourd’hui, un porteur de projet est sélectionné pour une maison éclusière. Dans le futur, VNF souhaite développer la revalorisation de plusieurs maisons éclusières d’un coup par des porteurs de projets de dimension conséquente. L’ambition ? Attirer des acteurs économiques pour pérenniser l’activité des maisons. Il s’agirait alors de lots de maisons gérés par des acteurs solides issus par exemple du domaine du tourisme.
Un même acteur pourrait mettre en musique un ensemble de maisons, ce qui favoriserait la logique d’axe. Cette configuration dispose toutefois de peu de retours d’expérience. Un des enjeux est de pouvoir atteindre et attirer ces porteurs de projets de dimension nationale voire internationale. Pour avancer sur le sujet, il sera également nécessaire de mieux identifier les freins à ce type d’initiative. En attendant, l’appel à projets de la DT Rhône-Saône permet aux porteurs de projets de se positionner sur une ou plusieurs maisons (le risque étant de ne pas trouver preneur pour un appel à projets réservé à des lots). Les résultats montreront si un porteur de projet se saisira d’un lot de maisons.
En Centre-Bourgogne : enseignements et expérimentations
L’ambition de la direction territoriale (DT) Centre-Bourgogne de VNF est forte : occuper toutes les maisons éclusières. L’ampleur de la tâche est grande pour cette DT aux 1 000 kilomètres de voies navigables, 550 maisons éclusières, dont un tiers de maisons vacantes. Pour y parvenir, une étude lui a permis d’identifier plusieurs axes de travail.
Le premier consiste à améliorer le fonctionnement interne de VNF : désigner un point d’entrée unique à l’échelle de la DT sur les maisons éclusières ; structurer une base de données commune sur le patrimoine bâti (la connaissance précise du réseau est un véritable enjeu) ; élaborer un document type pour les porteurs de projet potentiels ; assurer un rôle d’aide au montage de projet.
Le deuxième axe entend inclure la valorisation des maisons éclusières dans le cadre des contrats de canaux ou contrats fluvestres portés par des collectivités en partenariat avec VNF. Document partagé faisant le diagnostic et proposant un plan d’actions pour un linéaire dédié, le contrat permet alors d’intégrer la valorisation des maisons éclusières dans une démarche plus globale.
Le troisième axe est actuellement en expérimentation sur le Canal de Bourgogne. Son but est de travailler à la soutenabilité financière des projets par type d’activité. Il s’agit dans un premier temps d’identifier les conditions de réussite de différents services, grâce à des retours d’expérience de professionnels. Son intérêt ? Ajuster au mieux le cahier des charges des appels à projets et mieux cibler la sélection des candidats. Dans un second temps, un forum des porteurs de projet sera organisé pour leur permettre d’engager un dialogue avec les collectivités et VNF. L’objectif ? Accompagner les candidats à formuler leur réponse.
En Bretagne, la Région anime les porteurs de projet de maisons éclusières
Entretien avec Véronique Véron
Cheffe du service Patrimoines et usages à la région Bretagne
Combien de maisons éclusières ont été requalifiées en Bretagne ?
Deux appels à projets de revalorisation de maisons éclusières ont été portés par le conseil régional de Bretagne en 2013 et en 2015. À ce jour, vingt-et-une maisons ont été requalifiées sur le Canal d’Ille et Rance, le Canal de Nantes à Brest et le Canal du Blavet.
Quels types de services ont été développés dans ces maisons ?
La majorité des maisons éclusières revalorisées proposent un service d’hébergement : gîtes, chambres d’hôtes ou hébergement insolite. D’autres maisons, revalorisées par des associations, proposent des animations culturelles ou de loisirs. Enfin, des services fluviaux ont été développés à travers le deuxième appel à projet qui insistait davantage sur cet aspect. La plupart des maisons proposent un panel de services (petite restauration ou de location de vélos), la région Bretagne incitant les porteurs de projet à diversifier leurs activités.
Comment animez-vous ce réseau d’acteurs ?
La Région organise une réunion annuelle à destination des porteurs de projet de maisons éclusières avant la saison touristique. La première édition a eu lieu en 2016. Son objectif ? Faire en sorte que les porteurs de projet se rencontrent, travaillent ensemble et fonctionnent en réseau. C’est également l’occasion de bénéficier de retours concrets de ces acteurs, qui, situés au bord des canaux, ont un ressenti privilégié des besoins des usagers. Les porteurs de projet ont également des questions concernant la voie d’eau au sens large. Pour la Région, gestionnaire des voies d’eau, ces temps d’échange sont l’occasion de rappeler les contraintes propres à cette action. Le reste de l’année, les liens avec les porteurs de projet sont réguliers, ne serait-ce que pour la perception du loyer. Ces acteurs bénéficient donc d’une animation privilégiée.
Quelles perspectives pour les maisons éclusières de Bretagne ?
Aujourd’hui, notre objectif est de conforter et consolider les projets. Animer ce réseau est déjà un défi. Certaines maisons ne sont d’ailleurs pas encore en service. Nous avons besoin de temps pour suivre les projets en cours et répondre aux remontées et expériences de terrain. Exemple ? Les acteurs ont exprimé le besoin d’une signalétique le long du canal. Les usagers de la voie d’eau manquent d’information sur les maisons éclusières et leur distance entre elles le long du canal. Cette dernière est en cours de déploiement. Autre exemple ? Le besoin de stations de réparation de vélo. Les cyclistes ont régulièrement besoin d’une pompe ou d’une rustine et en font la demande aux maisons éclusières. En conséquence, dix stations de réparation vont être déployées par la Région sur le réseau en 2019.
Propos recueillis par Agathe Daudibon