Élisabeth Borne
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°53
Le 14 septembre en présence du Premier Ministre et du ministre de la Transition écologique et solidaire, dont c’était la première sortie publique, la ministre des Transports a participé à l’annonce du Plan national vélo et mobilités actives. De l’ambition de ce Plan, ses ressorts pour les territoires, à sa traduction dans la future Loi d’orientation des mobilités et le financement du Fonds mobilités actives à raison de 50 millions d’euros par an dès 2019 via l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), Élisabeth Borne nous explique l’engagement de l’État pour passer de 3 % à 9 % de part modale vélo d’ici 2024.
Cela fait plus d’un an que vous vous engagez personnellement, notamment via les Assises de la mobilité, et que vous soutenez l’émergence de ce Plan vélo. Pouvez-vous nous donner votre sentiment quant à cette publication ?
Que de chemin parcouru ! Très tôt, dès les Assises nationales de la mobilité que j’ai menées à l’automne 2017, le vélo s’était imposé comme une solution majeure et même incontournable dans le paysage des mobilités. C’est le sujet qui avait suscité la plus forte mobilisation citoyenne dans le cadre de cette consultation. C’était déjà le signe qu’il était temps que nous passions à la vitesse supérieure. Depuis plus d’un an et demi, nous avons donc mené un travail très sérieux et profond avec tous les acteurs de l’écosystème, au premier plan desquels les associations, les collectivités et la filière vélo (constructeurs, distributeurs), pour repartir de la réalité des besoins, et lever un à un les freins au développement de l’usage du vélo. Je crois que nous pouvons être fiers. Jamais un gouvernement ne s’était engagé de façon aussi claire, déterminée, complète, cohérente pour le vélo. La présentation du Plan vélo est donc à la fois l’aboutissement de cette prise de conscience que nous avons dû insuffler collectivement, la concrétisation d’un plan, et surtout le point de départ d’une dynamique qui doit continuer de s’amplifier. L’objectif est clair : faire du vélo un mode – enfin ! – à part entière. Ce Plan est l’affirmation à la fois d’une belle ambition et d’une feuille de route concrète qu’il faut désormais conduire.
Vélo & Territoires a identifié 85 points noirs sur le Schéma national vélo, créés par des infrastructures relevant du domaine public de l’État*. Par conséquent, nous avons appelé les territoires et maîtres d’ouvrage concernés par ces points à se saisir du Fonds mobilités actives afin de prioriser sur la résorption des coupures sur le Schéma national vélo. Pouvez-vous nous dire, concrètement, comment ce Fonds sera mis en oeuvre et surtout, comment les territoires devront s’y prendre pour s’en saisir ?
La création de ce Fonds de 350 millions d’euros est totalement inédite. C’est la première fois que l’État, alors que ce n’est pas traditionnellement de son ressort, financera des infrastructures vélo locales. Nous n’avons pas vocation à faire le travail à la place des collectivités, mais à accompagner celles qui veulent accélérer. Nous nous concentrerons donc en priorité sur les ruptures d’itinéraires que causent les grandes infrastructures, en particulier celles de l’État. Je tiens à rappeler que ce Fonds n’est pas le seul, qu’il y a aussi la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), assez peu connue, dont 500 millions d’euros sur le quinquennat sont affectés aux mobilités durables et solidaires : elle peut financer tous les projets d’infrastructures de mobilités alternatives à la voiture individuelle. Le premier appel à projets sera lancé d’ici le début de l’année 2019 pour identifier, avec les collectivités locales, les endroits précis où il faut intervenir en priorité. J’ajoute que l’ADEME a déjà lancé un appel à projets pour aider les collectivités, qui en éprouvent le besoin, à définir leur politique cyclable afin que cette dynamique profite à tous les territoires. Notre enjeu est d’accélérer et amplifier la dynamique, pas de faire à la place de ce qui existe. Nous serons donc vigilants à ne pas financer des projets qui sont déjà prêts et finançables. L’objectif est de permettre aux collectivités d’augmenter l’investissement vélo.
En France, les départements investissent massivement dans des politiques cyclables. Nombre d’entre eux assurent une maîtrise d’ouvrage directe, parfois même par délégation des EPCI, et interviennent en appui d’ingénierie et de financement aux intercommunalités. Les départements pourront-ils également se saisir du Fonds mobilités actives ?
Oui, c’est bien ainsi que nous prévoyons les choses. Ils pourront s’en saisir au même titre que les autres maîtres d’ouvrage publics compétents.
Le soutien de l’AFITF est programmé pour sept ans. Quelles sont les conditions, selon vous, pour que ce soutien au financement des infrastructures cyclables soit pérennisé, voire mieux encore, renforcé ?
Les 350 millions d’euros du Fonds sont non seulement annoncés et confirmés, mais ils seront inscrits dans la Loi d’orientation des mobilités, dans le cadre de la programmation des investissements, qui est une démarche totalement inédite de sincérité vis-à-vis de nos engagements. C’est la première fois que la mobilité et ses investissements feront l’objet d’une véritable loi de programmation. Le Fonds vélo y prendra toute sa place, comme un de nos programmes prioritaires. Le montant est également inédit par son niveau, sans parler des autres financements possibles comme la DSIL. Rien qu’avec le Fonds mobilités actives, nous visons 200 millions d’euros d’investissements supplémentaires par an sur le territoire français. L’État est donc clairement au rendez-vous, à chacun de s’en saisir. La priorité est d’identifier les investissements.
Les collectivités de notre réseau sont particulièrement mobilisées pour l’achèvement du Schéma national vélo à l’horizon 2030 parce qu’il maille le territoire, y compris dans les zones moins densément peuplées, offrant une alternative à des transports automobiles. À l’instar de ce qui existe sur les réseaux nationaux de référence (routier, ferroviaire, fluvial), les territoires que nous représentons souhaitent que le Schéma national vélo soit LA référence. En creux, qu’il soit explicitement inscrit dans la Loi d’orientation des mobilités et privilégié à ce titre comme tel pour les financements du Fonds mobilités actives. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ces attentes, présentées à votre cabinet en janvier dernier ?
Je suis très attachée, comme vous, à ce que des solutions alternatives soient apportées à la voiture individuelle, en particulier en milieu rural. Le réseau national cyclable que vos membres déploient est donc d’un apport essentiel à la mobilité du quotidien, notamment pour les entrées de villes. La résorption des coupures qui y subsistent et qui ont un impact important sur sa fréquentation est donc tout à fait au coeur des priorités du Fonds mobilités actives. Nous attendons que de nombreux projets candidats aux appels à projets s’inscrivent dans cet objectif.
Vélo & Territoires entame en ce moment-même les travaux d’actualisation du Schéma national vélo dont la dernière validation officielle date de 2010. Pensez-vous plus judicieux d’y associer également le ministère de la Cohésion des territoires ou d’autres portefeuilles que le vôtre au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire ?
La mobilité n’a de sens que parce qu’elle relie les territoires. Par ailleurs, le Plan vélo et mobilités actives a été conçu et sera mis en oeuvre et enrichi en interministériel, avec mes collègues du Gouvernement. C’est une priorité pour que tous les leviers soient mobilisés.
Au plan européen, les ministres des Transports et de l’Environnement, réunis à Graz ce 30 octobre, viennent de déclarer un « green deal » pour la mobilité en Europe. Le rôle des modes actifs et du vélo y est notamment souligné. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je suis très satisfaite que le vélo s’impose aussi dans les mentalités au plan européen. Je ne parle pas de nos voisins, qui ont souvent une réelle longueur d’avance sur la place du vélo, mais bien au plan de l’Union européenne. Si nous voulons faire du vélo un mode de transport à part entière, dans les esprits comme dans les politiques publiques, sa place est aussi dans les discussions européennes. Les exemples d’autres pays sont d’ailleurs extrêmement précieux pour démontrer dans le débat public français que le vélo et les modes actifs sont une véritable solution, crédible et efficace.
Récemment les députés européens ont soutenu l’obligation de faciliter le transport de vélo dans les trains, y compris dans les trains à grande vitesse, longue distance, transfrontaliers et locaux. Comment appliquer cette mesure au niveau français selon vous ?
C’est un sujet tout à fait essentiel, notamment pour le développement du tourisme. Le vélo et le train forment un couple efficace. Mais l’embarquement de vélos à bord pose des difficultés importantes aux entreprises ferroviaires. Je note d’ailleurs que l’Allemagne, qui est en pointe sur le sujet du vélo, n‘a pas encore réussi à mettre en place un système fiable. La priorité est pour moi de développer les stationnements vélos sécurisés en gare. La Loi des mobilités fixera des objectifs à la SNCF et la RATP et demandera à tous les gestionnaires de pôles d’échanges multimodaux d’en faire autant. Ces déploiements seront soutenus par des certificats d’économies d’énergie.
Enjeux climatiques et de santé publique sur fonds de fronde contre l’augmentation du prix à la pompe… Le Plan vélo et mobilités actives est une partie de la réponse dans tous les territoires. Il y a une cohérence entre une politique volontariste des modes actifs et l’augmentation du prix du diesel. Pourquoi ne pas aller encore plus loin dans l’exercice, à l’instar des Néerlandais dans les années soixante-dix ?
Le Plan vélo et son ambition de triplement de la part de ce mode d’ici 2024 s’inscrit totalement dans la Loi des mobilités et dans le socle de ce que je porte pour améliorer les transports dans notre pays. L’enjeu est simple à résumer, il s’agit d’apporter des alternatives à la voiture individuelle à tous nos concitoyens et dans tous les territoires qui aujourd’hui n’en ont pas. Et le vélo aura un rôle majeur à jouer dans ce combat, j’en suis convaincue. Cela ne veut pas dire que ce sont les mêmes solutions qui doivent être calquées partout, mais au contraire que nous devons repartir des besoins qui s’expriment et des idées innovantes qui essaiment partout. Dans le monde rural, les mobilités actives auront un rôle à jouer plus important que ce que l’on présente souvent à tort. Je serai donc particulièrement attentive à ce que tous les projets, qui émergeront dans les territoires les moins denses, puissent être soutenus.
*Routes nationales / autoroutes / ferroviaire – ce chiffre passera à 762 si les cours d’eau sont pris en compte.
Propos recueillis par Vélo & Territoires