Dr Jean-Philippe Santoni
Extrait de Vélo & Territoires 46
La cause de la pollution atmosphérique est dans l’air du temps et ses conséquences rejoignent celles au cœur des thématiques vélo. Rencontre avec le Dr Jean-Philippe Santoni, pneumologue et administrateur à la Fondation du souffle, mais aussi cycliste et citoyen avisé.
- Quel rapport entretenez-vous avec l’outil vélo ?
Mon lien avec le vélo est à la fois personnel et familial. Je suis cycliste de longue date, à la fois en VTT et en VAE, et suis en outre le père d’un garçon de 30 ans qui a travaillé chez Velib’ pendant cinq ans, qui est livreur pour Deliveroo et qui s’est également illustré par au moins deux longs voyages à vélo : Paris-Lisbonne-Marrakech, entre avril et juin 2015, puis San Francisco-Bogota entre août 2015 et mars 2016 [1]. J’ai également une fille qui vit à Lyon. Elle se déplace à vélo et nous a fait apprécier le Vélo’v lors d’une récente visite dans cette ville, ce qui nous a fait mesurer le fossé positif qui sépare la cité des Gaules de Paris, en matière d’infrastructures cyclables.
- C’est-à-dire ?
À Paris la voiture est volontiers stigmatisée, mais sans que des alternatives ne soient pour autant bien développées. Interdire les voitures à diesel relève ainsi pour moi moins de la solution constructive que de l’écologie punitive. La priorité me semble plutôt d’engager par exemple des mesures incitatives telles que permettre l’accès aux vélos dans les transports en commun, ouvrir des pistes cyclables larges et sûres ou aménager des parkings à vélos sécurisés. À Lyon, j’ai découvert une véritable conscience citoyenne autour du vélo, comme celle d’Amsterdam, et cela change tout. Par ailleurs, pédaler en famille dans les rues de cette ville nous a rappelé à quel point c’est une erreur de croire que le vélo doit être perçu comme un mode de transport individuel. Nous, c’est aussi en famille que nous l’envisageons.
- Vous êtes pneumologue bénévole à la Fondation du souffle. Quels sont les objectifs de cette institution ?
La Fondation du souffle est une fondation reconnue d’utilité publique. Elle exerce trois missions de santé publique. La première concerne le financement de la recherche sur les maladies respiratoires. En matière de pollution, ces recherches peuvent concerner le stress oxydatif, les
réactions inflammatoires, le remodelage des voies aériennes et la sensibilité aux allergènes. La deuxième mission porte sur l’aide sociale aux malades démunis. La troisième concerne l’information au public, le dépistage des maladies respiratoires et la prévention.
- Quel est le lien entre cette troisième mission et le vélo ?
Nous sommes d’ardents défenseurs de l’activité physique et du sport comme moyen de prévention et de prise en charge des maladies respiratoires. À cet égard, le vélo peut redevenir un complément ou une alternative à l’approche chimique, et un moyen de limiter la pollution.
- Justement, ce mot “pollution” revient souvent dans l’actualité de cet hiver 2017…
C’est malheureusement une constante du traitement à flux tendu de l’actualité : les pics de pollution génèrent des pics de température médiatique. Pourtant, toutes les études le prouvent, mais il n’est visiblement pas inutile de le redire, la pollution de fond est plus importante et plus préoccupante que celle des pics. Par pollution de fond j’entends celle du quotidien, au jour le jour. Cette pollution-là a un impact bien plus important sur le long terme – rappelons au passage que le tabac reste le principal polluant domestique. 90 % des maladies respiratoires ont un lien avec la qualité de l’environnement et de l’air : les rhinites, rhino-sinusites, les complications pulmonaires de la grippe, les BPCO (broncho-pneumopathies chroniques obstructives), les emphysèmes, sans compter d’autres effets sanitaires néfastes comme les troubles cognitifs ou du système cardio-vasculaire, ceux du métabolisme, de la reproduction… Environ 10 millions de personnes en France souffrent de maladies respiratoires, dont 7 millions d’asthme ou de BPCO . Et oui, de fait, la pollution chimique constitue à la fois un facteur de risque et d’aggravation de ces maladies.
- Quel rôle peut jouer le vélo face à cette problématique ?
Toute activité physique régulière a des effets préventifs et donc bénéfiques à l’égard d’éventuelles maladies respiratoires. À ce titre, le vélo constitue une alternative
saine aux modes de transport urbains traditionnels que sont l’automobile, les deux-roues motorisés et les bus diesel. S’y adonner, c’est diminuer d’autant le recours à la médication, aux suppléments vitaminiques, etc.
- Même dans un contexte urbain d’axes routiers surchargés ?
Effectivement, tout est affaire de dosage et de bon sens. La respiration moyenne est de 15 000 litres d’air par jour. Si la pratique du vélo est trop intense ou s’effectue sur des axes trop fréquentés, cela augmente d’autant le risque d’hyperventilation ainsi que celui d’exposition aux particules fines et aux gaz d’échappement.
- Quid des masques qu’arborent certains cyclistes en agglomération ?
Là aussi il y a peut-être quelques idées reçues sur ce sujet. Les masques simples en papier ou en tissu sont inutiles car ils ne filtrent qu’insuffisamment les particules fines. De plus, s’ils sont portés trop longtemps, ils présentent un risque réel de condensation et de contamination bactérienne. En revanche les masques à clapet ou à gaz sont plus encombrants, difficiles à trouver mais sont aussi plus fiables. Enfin, en cas de pollution élevée, il reste préférable de respirer par le nez que par la bouche en raison du rôle filtrant et humidifiant des cellules nasales.
- Vous disiez être utilisateur d’un VAE. C’est aussi un moyen d’économiser son souffle…
Tout à fait. Le VAE permet à un cycliste de moins hyperventiler, notamment dans les côtes en ville, lorsque l’inhalation d’air pollué est difficilement évitable. En outre ce type de vélo comporte au moins deux autres avantages, si l’on met de côté la question du recyclage à moyen ou long terme de sa batterie. D’abord, il permet de parcourir des distances plus importantes. Ensuite il constitue un vrai report modal par rapport à l’automobile, en particulier pour les usagers seniors qui sont heureux de retrouver cette sensation de cheveux au vent.
- Vous en faites usage pour vos trajets domicile-travail ?
J’aimerais tellement ! Habitant en banlieue, l’idéal pour moi serait de pouvoir combiner VAE et transports en commun, mais il semble qu’une fois de plus ce souhait soit davantage entendu par le public que par les pouvoirs publics. Surtout, posséder un tel vélo pose en creux la question du respect de la propriété individuelle, du civisme et de la citoyenneté.
- C’est-à-dire ?
C’est-à-dire qu’en ville, celui qui veut retrouver son VAE intact est souvent contraint de retirer son boîtier de commande et sa batterie. À Tokyo, j’ai vu des VAE stationner sans antivol. Ceci est malheureusement impensable en France ! Être citoyen, c’est aussi savoir respecter la propriété individuelle. Ce levier-là n’est pas forcément celui qui est le plus souvent mis en avant, mais il est pour moi clairement l’un de ceux qui permettra à terme le développement de ces modes de transports alternatifs.
- Tout est imbriqué, en somme, comme les DRC ont pu le mesurer en décembre en se voyant retirer une subvention importante du ministère de l’Environnement…
Oui, car les plus durs à convaincre restent malheureusement les décisionnaires. J’en parle en connaissance de cause, car pour mener à bien ses missions, la Fondation du souffle dépend essentiellement de la générosité du public et de partenariats industriels, alors qu’elle répond pourtant à l’origine à des enjeux majeurs de santé publique… Maintenant, il ne faut pas mentir aux gens : la pollution ne sera pas supprimée du jour au lendemain. Avant cela beaucoup de changements culturels sont à amorcer : le rapport au chauffage, à l’automobile… Tout cela prend du temps et, en attendant, il est fondamental de renforcer et soutenir la recherche médicale pour trouver des méthodes et des moyens qui minimisent l’impact de la pollution sur la santé respiratoire. C’est un des rôles de la Fondation du souffle et c’est aussi, quelque part, l’un de ceux du vélo.
Pour en savoir plus : www.lesouffle.org
Propos recueillis par Anthony Diao