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Brigitte et Nicolas Mercat


C’est au cours de l’une de leurs étapes, aux confins de la Chine et du Tibet, que ces militants par l’exemple de la cause du vélo ont pris le temps de répondre ensemble à cette “Pause”. Beau témoignage nourri de décennies d’expériences.

À l’échelle d’une vie, cela ressemble à du récidivisme. D’octobre 1990 à décembre 1991, Brigitte et Nicolas Mercat avaient déjà parcouru en tandem les quelque
23 000 km reliant Paris à la ville sud-africaine du Cap. La poste restante et les diapositives étaient alors leurs princi-paux liens avec les personnes laissées en chemin. À l’été 2002, âge d’or des cyber-cafés, les deux époux décident de rempiler. Ils sont accompagnés cette fois de leurs trois enfants de 9, 7 et 5 ans et parcourent ensemble pendant quatorze mois les routes d’Amérique du Sud, de Nouvelle-Zélande, de Nouvelle-Calédonie, d’Indonésie et d’Europe de l’Est. Le 6 mars 2016, le cofondateur d’Altermodal/Inddigo, et sa compagne, spécialisée dans le tri des déchets et l’insertion de personnes en difficulté, s’élancent à nouveau depuis leur base chambérienne, direction cette fois la route de la soie et le soleil levant. Entre dons de soi et d’observation, visas à prévoir et codes locaux à assimiler, une seule certitude : leur retour au premier trimestre 2017 passera par le Transsibérien et ses 9 200 km reliant Vladivostok à Moscou. Avant cela, leur programme tient en trois mots : pédaler, rencontrer et (s’)interroger sur
« le monde qui nous entoure et que nous ne faisons que traverser ».

  • C’est votre troisième voyage au long cours après ceux de 1990 et de 2002. Quel est le dénominateur commun entre ces trois aventures ?

Au départ nous voulions partir tous les dix ans, mais les circonstances de la vie et les contraintes professionnelles ont fait qu’il a parfois fallu décaler les départs. En 1990 nous avions 25 ans. En 2002, nous voyagions avec les enfants. Cette fois notre dernier a passé son baccalauréat en juin. Tous ont pris leur envol alors nous reprenons la route là où nous l’avons laissée… Notre objectif à chaque fois reste de nous accorder un temps de respiration et de rencontres. Appuyer sur le bouton “reset” par rapport à nos vies trop rapides. Rechercher la lenteur et les fondamentaux, tout ce qui fait le sel véritable de l’existence : trouver de l’eau, manger, dormir, sentir le passage des saisons, comme lorsque nous basculons en quelques jours de 50°C au Turkménistan à la neige des hauteurs tibétaines. Alors oui, aujourd’hui, avoir Internet et une carte bleue est un luxe qui n’existait pas à l’époque. Mais tout cela est presque secondaire. Quand vous avez pédalé des heures voire des jours loin de tout, une douche chaude, même chauffée à la bouilloire, ça n’a pas de prix.

  • Qu’est-ce qui vous marque le plus, au cours de ce voyage-ci ?

Ce qui nous frappe c’est le regard que posent sur nous les gens que nous croisons. Le monde des voyageurs à vélo a évolué à une vitesse sidérante. Il y a trente ans, nous passions pour des fous ; aujourd’hui c’est moins le cas. Alors oui, il y a toujours des endroits où nous sommes les seuls touristes et où les gens nous regardent avec des yeux ronds comme des soucoupes, mais de façon générale l’effet “d’incongruité” est moindre. De notre côté, nous avons aussi appris quelques
rudiments de turc, de farsi et de mandarin. Ça aide à briser la glace.

  • Croisez-vous beaucoup de voyageurs à vélo ?

Bien plus qu’en 1990 ou 2002, c’est certain. La communauté des gens qui voyagent à vélo est aujourd’hui une réalité. Jusqu’au Kirghizistan, par exemple, nous avons rencontré beaucoup de Français et – c’est amusant de le constater puisque nous venons de la même région –, parmi eux, beaucoup de Rhônalpins. Il y a un côté initiatique dans les voyages à vélo. Quelque part, c’est un peu la même démarche qu’en montagne.

  • Quels sont vos autres motifs d’étonnement ?

C’est presque un lieu commun à tous les voyageurs mais nous restons frappés par la beauté du monde et la diversité des cultures que nous rencontrons. Nous prenons plusieurs claques quoti-diennement, d’autant que de loin en loin nous parviennent les échos de l’actualité relative à l’accueil fait en France aux migrants. Partir loin et longtemps, c’est se souvenir à quel point sous nos latitudes “hospitalité“ et “bienveillance” paraissent aujourd’hui des mots d’un autre temps. Au fil des rencontres, ces vertus reprennent sens. L’Albanie, l’Iran (même si là-bas le statut des fem-mes en général mais aussi par rapport au vélo nous pose question, ainsi que nous l’avons écrit sur notre blog*), les pays d’Asie centrale, la Chine : d’un coup notre chère Europe nous paraît bien petite, et surtout bien loin. Cela nous laisse volontiers songeurs quant à notre rapport à l’inconnu et à l’étranger. Peut-être qu’en France, quelque part, nous avons trop à perdre, et que du coup
notre premier réflexe est de demeurer sur la défensive et sur notre quant-à-soi… Reste que, au passage, tout cela nous permet de mieux mesurer la chance d’y être nés.

Vous êtes aussi des militants du vélo. Quelles pistes de réflexion sont apparues au cours des premiers mois de ce voyage ?

Nous avons rencontré beaucoup de cyclistes locaux, notamment en Turquie, en Iran et surtout en Chine. En Chine, 95 % des voya-geurs à vélo que nous avons croisés étaient chinois. Là-bas, aller à Lhassa est un classique des voyages à vélo. L’itinéraire draine jusqu’à 200 personnes par jour, même si l’accès est impossible à certaines époques de l’année. L’essor du marché chinois du tourisme à vélo et les possibilités qui s’offrent à la destination France en Chine sont deux vrais sujets de réflexion. Songez qu’une ville comme Korla est passée de 400 000 à 1,3 million d’habitants en cinq ans ! Le rouleau compresseur chinois est en marche et, avec lui, le développement des loisirs, le pouvoir d’achat, etc. Il y a en Chine une gigantesque classe moyenne et un réseau routier exceptionnel. En ville, partout où nous avons circulé, il y avait des bandes cyclables de quatre à cinq mètres de large ! Qui plus est, le vélo à assistance électrique est en train de supplanter le vélo traditionnel. En ville, dans le Xinkiang tout est électrique. Ce sont des vélos maniables, avec un siège arrière bas, qui permet d’accompagner des enfants à une vitesse de 30 km/h. Ce sont quasiment des mini-scooters.

  • Qu’en est-il des autres pays traversés ?

Nous avons vu sur notre parcours beaucoup de vélos en libre service en ville, et de nombreux touristes à vélo venus d’Ukraine ou de Russie, de République tchèque ou de Pologne. Au Kirghizistan et au Tadjikistan, nous avons croisé peu de cyclistes locaux mais avons découvert que ces deux pays étaient en train de devenir des destinations phares du tourisme à vélo, avec des cyclistes venus d’Europe mais aussi des États-Unis ou de Nouvelle-Zélande… Ces pays ont pour atout des vols moins chers que pour les pays alentour et, dans le cas du Kirghizistan, la fin depuis deux ans de l’obligation de visa. Les voyageurs, ensuite, se transmettent l’info…

  • Justement : comment communique-t-on autour du vélo d’un pays à l’autre ?

Globalement, dans ces pays, les sites Internet traditionnels s’effacent peu à peu devant la toute puissance de la blogosphère, avec des leaders d’opinion qui influent beaucoup sur le dévelop-pement du bouche à oreille. C’est une sorte de conseil direct aux voyageurs : sur les itiné-raires mais aussi sur les visas, le prix des vols, les hébergements, etc., à la façon de ce que nous pouvons trouver dans un magazine comme Carnets d’aventures… Autre chose frappante : il n’y a pas de jalonnements cyclables à proprement parler dans ces pays. La progression se fait à l’aide des smartphones. Même au Tibet les gens ont tous un smartphone ! Encore une fois, Internet a vraiment bouleversé la donne. Les jeunes que nous croisons ont les mêmes aspirations et les mêmes références que nos enfants, mais pas les mêmes débouchés ni les mêmes opportunités.

  • Toutes ces observations vous donnent-elles des idées qui seraient transposables en France ?

Complètement. Il y a sans doute de la place en France pour des itinéraires plus rustiques qui, pour donner un ordre d’idées, seraient entre voies vertes et chemins ruraux, par exemple dans le Massif central. Il y a aussi des choses à retenir en matière d’hébergement, ainsi que nous avons pu l’observer à Och au Kirghizistan, où 30 à 50 personnes pouvaient être hébergées dans un lieu comprenant à la fois des chambres hôtelières, un dortoir, une pelouse pour le camping, des tables sous un espace couvert, une cuisine et des yourtes de six à huit lits. Chacun choisit la gamme qui lui convient. Car n’oublions pas que l’essentiel reste de trouver un abri avec si possible une cuisine et… de quoi brancher un chargeur. Dans les secteurs où l’offre est très faible, les paysans ouvrent leurs portes et proposent une offre qui peut ressembler à celle de la Fédération nationale Accueil paysan. Il n’y a pas à dire, au Kirghizistan, ils ont compris beaucoup de choses !

  • Qui dit nouveaux horizons dit nouvelles perspectives ?

C’est le but de ce voyage. Cette prise de recul nous permet par exemple de nous souvenir que, en matière de voyage à vélo, les gens ne s’équipent pas juste pour essayer, et qu’il y a un vrai frein économique à lever sur la question de la location des sacoches. Par ailleurs, il serait opportun que nous soyons attentifs à l’émergence de ces nouvelles clientèles potentielles que constituent les cyclistes venus de Chine, mais aussi de Pologne, de Roumanie ou de République tchèque. Ce sont des gens qui ont besoin d’être rassurés sur la possibilité de voyager pas trop cher en France, par exemple grâce au réseau des Warm Showers [réseau d’échange d’hébergement entre cyclistes]. Car il ne faut jamais oublier qu’une part importante des cyclistes, notamment en Chine, qui partent à l’aventure jeunes seront dans quelques années l’élite de leur pays, les potentiels décideurs de demain. Si leur première impression est bonne, qui sait si, lorsqu’ils deviendront des voix qui comptent à l’échelle nationale voire internationale, ça ne jouera pas plus tard en faveur du développement du vélo…

Propos recueillis par Anthony Diao

* blog pour connaître l’itinéraire, lire les récits des étapes et voirdes centaines de photos : bnmercat.wixsite.com/velomercatour

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