Vladimir Vasak
Extrait de Vélo & Territoires 43
Grand reporter pour Arte et intervenant remarqué lors de Velo-city 2015, Vladimir Vasak est l’auteur de plusieurs reportages liés à la thématique vélo. Une Pause vélo s’imposait avec lui.
- Quelle place occupe le vélo dans votre vie ?
Il y a eu deux temps dans mon rapport au vélo. D’abord, comme tous les enfants, j’ai appris à pédaler quand j’étais gamin. Je me souviens d’ailleurs m’être acheté un vélo de course Manufrance pour mes 12 ans… Ensuite, lorsque je suis entré dans l’âge adulte, et étant issu de la génération voitures, j’ai commencé par avoir le goût des voitures anciennes. Et puis, un jour j’ai redécouvert ce plaisir qu’est le vélo.
- C’était à quelle occasion ?
C’était à Paris, au début des années 2000, à peu près au moment de l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie. Alors que je venais d’acquérir un vélo pour me déplacer dans la capitale, ma mère, qui était née en 1927, m’avait dit que pour elle, son dernier souvenir de vélo dans Paris, c’était la période de la Guerre et le portage de documents pour la Résistance ! Paris à vélo redevenait possible, mais cette fois c’était un choix.
- Quel a été votre premier reportage consacré au vélo ?
Là aussi, cela s’est fait en deux temps. Après l’élection de Barack Obama à la présidence américaine, j’ai eu envie de savoir pourquoi une grande puissance comme les Etats-Unis n’avait pas de train à grande vitesse sur son territoire. Je me suis donc rendu sur la côte est des Etats-Unis. À Washington DC , je suis allé filmer le Earth Policy Institute, le think tank de Lester Brown, un homme que beaucoup qualifient de “pape de l’écologie” aux Etats-Unis. Lors de notre entretien, j’ai compris que nos sociétés opéraient peu à peu un changement radical de valeurs. Les études montrent ainsi que le permis de conduire n’est plus un rite de passage à l’âge adulte. Je l’observe d’ailleurs avec mes neveux et nièces. Pour cette génération urbanisée à quoi bon passer le permis de conduire, par exemple, puisque désormais il est possible de se rendre quasiment partout en transports en commun, en train, voire avec les compagnies low cost ?
- C’est le fameux “changement de paradigme” qu’un Pierre Rabhi appelle souvent de ses voeux dans ses écrits et ses conférences [cf. V&T n°20]…
Exactement. À mesure que la population devient urbaine, la prise de conscience qu’il est impossible de continuer comme cela va crescendo également. De fil en aiguille, j’ai ainsi été amené à faire la connaissance d’un véritable lobby pro-vélo à Washington. Ce lobby était tenu par des gars de Portland, dans l’Oregon…
- De là votre reportage Portland : bobo, bio, vélo, diffusé en juillet 2011 sur Arte ?
Voilà. Dans l’Oregon comme dans beaucoup d’autres endroits du monde où j’ai pu me rendre depuis, j’ai constaté que le vélo se vit comme l’outil moderne d’un monde qui change. Et ce reportage, à son tour, m’a fait prendre conscience d’une autre vérité. En France comme à l’étranger, les villes les plus dynamiques ont en commun de toutes avoir un volet vélo dans leur politique urbaine. En France, je pense notamment à des villes comme Strasbourg, Nantes ou Bordeaux. Le vélo y est devenu une évidence.
- Ce qui n’est pas le cas d’une ville comme Bruxelles, écriviez-vous récemment dans une tribune parue dans le quotidien belge Le Soir [1] ?
Oui, et à ce niveau il s’agit d’un véritable couac, pour une ville qui a un rayonnement européen. J’y réside également depuis près de trois ans et je constate qu’il est plus que temps de se retrousser les manches pour aménager un réseau urbain digne de ce nom dans une ville de cette envergure !
- Vous disiez avoir le goût des voitures anciennes. Êtes-vous également collectionneur de vélos ?
D’une certaine façon, oui. J’achète en effet régulièrement des vélos aux puces, au gré de mes déplacements. J’en possède ainsi trois ou quatre à Paris, deux ou trois à Bruxelles, mais aussi en Savoie, j’en laisse un à la gare de Strasbourg pour aller au siège d’Arte, etc. Je suis un féru de vélos mais pas du casque, quand bien même le vélo compte aussi ses dérives puisque nous devons hélas parfois partager la voie avec des cyclistes agressifs… En vacances, je pars également à la découverte d’itinéraires cyclables, comme en Flandre récemment ou le long du canal de l’Ourcq sur l’axe Paris-Meaux.
- Donc, quelque part, où que vous alliez, il y un vélo qui vous attend ?
Presque [sourire]. Ou alors, lorsqu’il ne m’attend pas, c’est moi qui l’emmène avec moi. Il y a deux ans nous avions embarqué nos Brompton dans l’avion jusqu’à Helsinki. De là nous avons rejoint Stockholm en ferry puis Riga en Lettonie, Tallinn en Estonie et retour à Helsinki en ferry. Le voyage aura duré dix jours et nous avons ainsi eu le luxe de nous déplacer à vélo à chacune de nos étapes.
- Les responsables d’Arte sont-ils réceptifs à cette thématique ?
Je dirais même que j’arrive presque en terrain conquis ! Songez que la grande majorité des employés d’Arte viennent eux-mêmes au travail à vélo, que la chaîne a ses locaux à Strasbourg – une ville qui n’est pas connue pour son hostilité aux deux-roues – et que c’est une chaîne franco-allemande, autant dire que sa sensibilité verte est presque inscrite dans son ADN !
- Vous êtes allé jusqu’en Zambie pour creuser cette thématique…
Oui, c’était autour d’un projet de micro-crédit et de distribution de vélos. Nous avions été contactés par une ONG qui s’appelle World Bicycle Relief, et le reportage nous a conduits dans certaines zones rurales de ce pays d’Afrique australe, à la rencontre des ateliers d’assemblage de vélos de l’association, et de l’utilisation concrète qui en est faite au quotidien par la population locale. D’ailleurs si tout va bien nous devrions repartir là-bas dans quelques semaines, pour voir comment les choses ont avancé depuis notre premier passage.
- C’est là un point que nous avons déjà abordé dans ces colonnes, notamment lors d’une pause vélo avec le Suisse Claude Marthaler [cf. V&T n°18] : quel regard portez-vous sur le statut du vélo dans les pays émergents ?
Le vélo reste un outil de développement économique. En France, dans les années qui ont suivi la guerre, le vélo était vu comme un objet “de pauvre”. Aujourd’hui, certains jeunes couples préfèrent mettre jusqu’à 3 000 € dans un équipement vélo plutôt que dans une seconde voiture, quand ils ne se mettent pas à l’autopartage. Dans les pays émergents aujourd’hui, comme chez nous il y a encore quelques décennies, la réussite se matérialise souvent par la voiture. Pour autant, même en Afrique, dans les villes développées, nous constatons du mieux. Le prestige de la voiture n’est plus aussi uniforme, et ça c’est plutôt une bonne nouvelle.
- Quel sera votre prochain reportage consacré au vélo ?
Si tout se passe bien il est prévu en amont du référendum du 23 juin sur le Brexit, qui doit décider si la Grande-Bretagne reste ou non dans l’Union européenne. Sauf imprévu nous devrions caler un reportage sur place quelques semaines avant cette date. À vélo bien entendu – c’est un tel facilitateur de rencontres !
- Quels sont les reportages, liés à cette thématique vélo, que vous n’avez pas encore réalisés et qui vous tiennent à cœur ?
De plus en plus je réfléchis à des reportages sur des villes, et en particulier des villes moyennes des États-Unis. Je suis conscient que le modèle de Portland n’est pas la norme, et suis donc curieux d’aller voir ce qu’il en est aujourd’hui dans des villes de taille équivalente. C’est du reste en visitant une ville – Copenhague , en 1996 – que j’ai compris il y a vingt ans tout ce qu’il nous restait à faire sur ces thématiques, et que je mesure aujourd’hui tout ce que nous avons accompli. Continuons !
Propos recueillis par Anthony Diao
[1] “Bruxelles, plus belle”: un journaliste étranger tacle la mobilité bruxelloise