Suzanne Lareau
Extrait de Vélo & Territoires 37
Entrée à Vélo Québec à 20 ans pour un stage en vélo-tourisme, la Canadienne Suzanne Lareau en dirige le volet événementiel, de 1989 à 2001, avant de devenir la présidente directrice générale de cet organisme, créé en 1967 pour promouvoir le vélo à des fins de transport, de loisir et de tourisme. Rencontre avec une femme de conviction.
- À quel moment le vélo est-il apparu dans votre parcours ?
Je m’y suis mise sérieusement à 19 ans. Bien sûr, comme tout le monde, j’ai fait du vélo étant enfant. Entre 15 et 18 ans je suis même passée au Solex. Mais c’est vraiment à 19 ans que j’ai commencé à partir à vélo, notamment sur les Laurentides, le week-end avec des amis. C’étaient des sportifs comme moi. Nous faisions du ski l’hiver et travaillions comme sauveteurs l’été. Et puis je me suis dit que si j’arrivais à faire comme cela des sorties de 80 km, pourquoi est-ce qu’un jour je ne mettrais pas ces distances bout à bout pour effectuer un tour du monde ? De fil en aiguille le vélo est ainsi devenu mon moyen de transport privilégié, aussi bien en vacances que pour mes déplacements quotidiens.
- Vous étiez nombreux à vous déplacer à vélo à cette époque-là à Montréal ?
Loin de là. Comme j’ai coutume de le dire, nous étions si peu nombreux que nous nous recon-naissions tous dans la rue. Lorsque je voyais un vélo attaché à un poteau, je savais à qui il appartenait ! Fort heureusement cela a changé aujourd’hui…
- Que répondez-vous à ceux qui invoquent l’argument de la neige comme raison de ne pas faire de vélo à Montréal ?
Je dirais que c’est une façon facile de dénigrer le vélo. Là-dessus je tiens à dire deux choses. D’abord, une étude a montré qu’en moyenne, seuls 5 à 8 % des trajets domicile-travail sont effectivement affectés par les intempéries. A contrario, ce sont donc 92 à 95 % des trajets qui ne le sont pas… Ensuite, la neige à Montréal, c’est de début décembre à la mi-mars. Une fois que les camions de déneigement sont passés, il est tout à fait possible de pédaler. Et quand bien même vous arrêteriez pendant ces quatre mois, il reste encore huit mois pour faire du vélo ! Regardez aux Pays-Bas ou en Scandinavie : c’est justement dans les pays où la pluie est reine que le vélo est roi. Cela doit nous donner à réfléchir sur ce qui relève de l’argument et ce qui relève de l’excuse [Sourire].
- Vous avez beaucoup voyagé à vélo. Quelles idées avez vous ramené de ces voyages ?
Mes voyages en Europe ont toujours été inspirants. Le premier remonte à 1983. À partir des années 90 j’ai participé aux conférences Velocity. Elles m’ont conduite à Bâle, Milan, Strasbourg, Munich, Copenhague… Ce sont des lieux qui m’impressionnent par la qualité et le souci de bien aménager l’espace urbain. Le calme qui s’en dégage est le résultat du transfert modal qu’ont pu permet-tre ces aménagements en faveur des cyclistes et des piétons. Il y a beaucoup moins de bruit que dans des villes comme Montréal ou même Paris… L’avance qu’ont sur nous les pays du nord de l’Europe est renversante.
- À quoi cela est-il dû ?
D’une manière générale, les pays européens ont une particularité par rapport à nous. L’espace y
est plus restreint, la densité plus importante et donc les gens sont plus nombreux pour partager les coûts. Cette caractéristique leur donne carré-ment une longueur d’avance. J’ai par exemple été surprise lors d’une balade autour de Toulouse en 2012, de voir qu’absolument tous les petits villages des alentours étaient précédés par des ralentisseurs. Ce sont des choses beaucoup plus rares à la sortie de Montréal par exemple. Tout cela nous fournit des arguments pour avoir une oreille plus attentive de la part du ministère des Transports et des municipalités.
- Voici environ trente-cinq ans que vous êtes investie dans le vélo. Quel bilan en tirez-vous et comment envisagez-vous la suite ?
J’aurai effectivement passé l’essentiel de ma vie de travail sur ces problématiques. Il y a trente-cinq ans, le vélo était surtout considéré comme un jouet pour les enfants. Il est devenu un enjeu pour les adultes. La crise pétrolière des années 70 a permis de prendre conscience de la question de la mobilité urbaine, dont l’importance va crescendo en ce début de 21e siècle. En vingt ans, le nom-bre de voitures à Montréal a doublé et pourtant 54 % des Québecois font aujourd’hui du vélo. Il y a également une montée de la pratique cyclosportive au Québec. La Route verte a débuté en
1995, aujourd’hui elle s’étend sur 5 000 km. Il y a beaucoup de nouveaux circuits, notamment le long du Saint-Laurent. L’usage du vélo en ville, du moins à Montréal, a connu une belle percée depuis 2005. L’important à présent est d’allouer des crédits. Car la volonté c’est bien beau, mais c’est dans l’allocation des crédits qu’on mesure le réel intérêt des gouvernements pour le vélo… Après, je préfère être pragmatique que dogmatique. Être pro-vélo ne doit pas forcément rendre anti-voiture. L’essentiel est que les Québecois aient mordu dans le vélo – et c’est le cas. Si tout continue sur ce tempo, je suis optimiste pour la suite !
Propos recueillis par Anthony Diao
Pour en savoir plus www.velo.qc.ca