Shannon Galpin
Extrait de Vélo & Territoires 35
Revenue de l’enfer des violences faites aux femmes, cette jeune mère de famille du Colorado a tout plaqué à l’automne 2006 pour fonder Mountain2Mountain. Sa façon à elle de faire tourner les roues du destin.
Le premier combat de Shannon Galpin, c’est le respect des droits de ses soeurs en humanité dans les zones de conflit. Avec son association Mountain2Mountain, cette VTT iste convaincue, ancienne préparatrice physique, mise sur le vélo pour « combattre l’apathie », et pousser à la réflexion, à l’action, voire à la réaction. Elle est ainsi devenue en 2009 la première femme à faire du vélo en Afghanistan, un pays où la question était jusqu’alors taboue. Bien des réalisations plus tard, elle produit pour 2015 un documentaire consacré à ce miracle quotidien auquel elle a tant œuvré : voir des Afghanes pédaler.
• Afghanistan, femmes, vélo : quel est le tiercé dans l’ordre de vos priorités ?
La priorité de mes actions reste les droits des femmes. Les zones de conflit telles que l’Afghanistan viennent en deuxième et le vélo en troisième. A aucun moment je ne me suis lancée en pensant que mon amour du VTT jouerait un rôle dans mon travail pour les droits des femmes. Et encore moins en Afghanistan, où les femmes n’étaient pas autorisées à conduire des vélos et où la question reste encore incroyablement sensible.
• « Si nous pouvions mettre des filles sur un vélo, nous n’aurions pas à construire autant d’écoles », déclariez-vous lors d’un précé-dent entretien. Qu’entendiez-vous par là ?
Lorsque j’ai déclaré cela, c’était dans un contexte précis. La question portait sur le rôle du vélo en matière de justice sociale un peu partout dans le monde. Lorsque des vélos sont distribués à des écoliers, cela permet de construire moins d’écoles dans les communautés rurales puisque tout reste à la portée des villages alentour. Les vélos sont une solution simple dans bien des cas. En milieu rural, ils facilitent l’accès à l’édu-cation, donc, mais aussi aux soins. En centre-ville, ils constituent une alternative verte à la pollu-tion et à la congestion du trafic. J’ajouterai – pour faire écho à mon histoire personnelle – que les vélos sont aussi un moyen de défense dans le cas de la violence faite aux femmes. Je pense aux jeunes femmes exposées au risque d’agression sexuelle sur le chemin de l’école ou de leur travail : à vélo, elles arrivent plus vite à destination et sont donc plus vite en sécurité.
• Vous avez créé l’association Mountain2Mountain en 2006. Votre expérience montre que le vélo peut créer du lien, y compris dans un pays comme l’Afghanistan. Pensez-vous qu’une telle piqûre de rappel serait utile en Occident, où l’automobile est encore reine ? Pour le dire plus crûment, le “tout auto” est-il un réflexe plus dur à changer que le machisme ?
Le vélo crée plus de communauté et d’inter-actions entre les gens pour une raison simple : vous n’êtes pas séparés d’eux par une portière et une fenêtre. Les discussions impromptues et les échanges culturels que je connais en Afghanistan ne me seraient jamais arrivés – et ne me sont même jamais arrivés – lorsque je suis en voiture. C’est impossible. En Occident, le désir d’entrer en contact avec l’Autre se retrouve davantage chez les cyclistes. Lorsque je suis en voiture, je vois d’autres voitures. Lorsque je suis à vélo, je vois des gens. C’est aussi simple que ça. Est-il utile de rappeler les avantages du vélo en centre-ville, au point de vue tant économique, environnemental que pratique ? Le vélo est une solution qui s’applique aussi bien à l’Afghanistan rural qu’au centre de New York City.
• Quel bilan tirez-vous de vos engagements à ce jour ?
L’équilibre entre la famille et le travail est un combat quotidien. J’ai choisi de travailler dans des lieux dangereux. Cette prise de risque implique une attention constante. Ajoutez à cela le fait que j’ai fondé ce sur quoi je travaille et que ce travail est ma passion, vous comprendrez que le tout mis bout à bout est extrêmement chronophage et énergivore, qui plus est avec une fille de 9 ans. J’ai choisi de sacrifier ma sécurité financière pour faire le métier en lequel je crois. Plus j’avance et plus j’ai l’espoir que le stress financier diminue et que je pourrai bientôt me faire seconder sur ces projets. Mon travail rencontre de plus en plus de soutiens et je sais qu’un jour la différence se fera sur de toutes petites choses. Mais ces petites choses signifient tellement…
• Vous vouliez un monde meilleur pour votre fille Devon. Une décennie plus tard, le voyez-vous arriver ?
Je ne suis pas sûre que ce monde soit devenu meilleur. Je vois un monde qui évolue, où il incombe à chaque citoyen de chaque pays d’apporter sa pierre à l’édifice si nous voulons réellement un changement concret. Je pense du fond du cœur que le progrès social, la paix et des perspectives économiques à la hausse ne viendront pas des gouvernements et des entreprises. C’est notre rôle de citoyens, chacun à notre niveau, de faire notre part chaque jour. C’est à cette condition que le monde que nous laisserons à nos enfants sera meilleur que celui dans lequel nous avons dû nous-mêmes nous élever.
Le site de Shannon Galpin : www.shannongalpin.com
Le site du documentaire : http://www.afghancycles.com
Propos recueillis par A. D.