L’EuroVelo 3, versant sud – La carte et le territoire
Extrait de Vélo & Territoires 35
L’EuroVelo 3, c’est 6 régions, 19 départements, 1 600 km : la plus longue traversée EuroVelo de l’Hexagone. Deux ans après la présentation de son versant nord (cf. V&T n°27), voici un état des lieux non exhaustif de sa portion sud. Entre-temps, l’EV3 s’est dotée d’un comité d’itinéraire. C’était le 4 juin 2O13. Puis d’un chef de file : la Région Île de France. Puis d’un coordinateur. Retour sur un bout du chemin (de croix) d’un itinéraire initialement baptisé “Véloroute des Pèlerins”. En jeu : une ouverture en 2016.
Faire avancer 1 600 km de concert n’est pas une mince affaire. Alors que les partenaires du versant nord de l’EuroVelo 3 sont pleine-ment engagés pour ouvrir l’itinéraire en 2016, sa partie sud est sujette à plus d’hétérogénéité et de débats. « Il y a parfois loin entre quelques coups de crayon sur une carte et les réalités d’un territoire », mesure Ugo Boscolo, coordinateur du projet depuis janvier 2014 au sein de la Région Île-de-France. Pour la partie française de l’EuroVelo 3, l’abandon de l’appellation “Véloroute des Pèlerins” a officiellement été acté par le comité de pilotage du 8 novembre 2013, en accord avec l’ECF qui n’interfère pas dans les choix marketing nationaux. Pèlerins / Pas pèlerins, le débat semble loin d’être enterré pour quelques partenaires du sud de l’EuroVelo 3. Certaines de ces collectivités du sud ont déjà rejoint la dynamique nationale. D’autres pourraient le faire prochainement. Mais seulement si une vraie priorité est mise sur cet itinéraire EuroVelo 3 et si les positions antagonistes s’effacent au profit du projet commun.
Région Centre. Les 39 151 km² de superficie de la région située à mi-parcours des quelque 1 600 km de l’itinéraire sont aussi sa principale pomme de discorde. L’objet du litige est peut-être à rechercher du côté d’un décalage entre l’esprit du projet et sa lettre. « Tout est parti de notre Schéma régional des véloroutes et voies vertes et de la proposition de l’ECF de travailler sur l’EV3, tente de synthétiser Laurent Savignac, chef de projet Circulations douces à la direction du Tourisme de la Région Centre. Cet itinéraire reliant Trondheim en Norvège à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne nous a été présenté comme étant une véloroute thématique. Sa vocation était à la fois culturelle, jacquaire et touristique. »
Selon le technicien, la Région enquête alors pour déterminer quelles portions de son territoire répondraient le mieux à ces trois critères. « C’est alors que nous avons constaté l’existence chez nous de flux de cyclistes venus du Nord de l’Europe. 80 % de ceux qui arrivaient chez nous semblaient s’être donnés le mot pour passer par Chartres, le reste arrivait de Paris. Ils n’étaient pas portés par des collectivités mais par une initiative privée. Ils avaient même commencé à coller des stickers de loin en loin pour baliser l’itinéraire. Ces stickers étaient en forme de coquille Saint-Jacques et, mieux encore, ces cyclistes pouvaient s’appuyer sur des topoguides Pirola d’excellente facture. » En conséquence, la Région fait le choix de prioriser cet itinéraire chartrain, qui lui apparaît incontournable.
« Travailler sur ce continuum », le sécuriser, amener de nouvelles clientèles – notamment françaises – tout en distinguant la population jacquaire traditionnelle (les marcheurs) et nouvelle (les cyclistes) : le challenge est stimulant. Avec Chartres, Vendôme et Tours en étapes-clés, l’itinéraire “Saint-Jacques à vélo via Chartres” épouse au niveau national le trajet de la V41. Il s’étend au total sur 160 km et devrait être opérationnel pour l’ouverture de la saison 2014. L’ensemble a coûté 1,5 million d’euros HT dont 50 % à la charge de la Région. La maîtrise d’ouvrage a été assurée par le conseil général d’Eure-et-Loir avec l’appui des communautés de communes sur les départements de l’Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher. « Nous travaillons à présent sur la continuité après Tours, poursuit le technicien. La “Saint-Jacques à vélo via Tours” représente 65 km et devrait ouvrir courant 2014. Les communautés de communes en assurent la maîtrise d’ouvrage et la Région finance là aussi à hauteur de 50 %. Les échanges avec nos voisins de la communauté d’agglomération du Pays de Châtellerault dans le département de la Vienne sont particulièrement constructifs. »
Quid alors de l’EV3 dite officielle, inscrite au schéma de la Région Centre de 2007 ? A l’autre bout du territoire régional, la période 2014-2018 marque le temps des travaux le long des canaux du Loing et de Briare. Ceux-ci s’élèvent à 6,6 millions d’euros TTC et la Région en assure là encore la moitié. La maîtrise d’ouvrage relève du Département du Loiret et de la communauté d’agglomération de Montargis. Et sur les 127 des 283 km qui épousent le tracé de La Loire à Vélo ? « Nous nous en occuperons après 2018 », avance Laurent Savignac. Plutôt que sur l’EuroVelo 3, la Région Centre met d’abord la priorité sur la véloroute de “Saint-Jacques à vélo via Chartes”. « La thématique est puissante, le site existe et il est d’autant plus ouvert que sa réputation est millénaire et que la desserte de sites jacquaires porte sur une liste inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pourquoi passerions-nous ailleurs ? » Pour la Région Ïle-de-France, chef de file du Comité d’itinéraire, l’EuroVelo 3 doit nécessairement desservir Paris, sans quoi aucun itinéraire européen ne passera par la capitale française.
Région Poitou-Charentes. En tout, l’EV3 en Poitou-Charentes représente 306 km et la participation de la Région est plafonnée à hauteur de 20 %. Du fait du caractère continu de l’itinéraire, la maîtrise d’ouvrage est départementale et l’avancée dépend des priorités de chaque conseil général – mais pas uniquement. « Pour qu’un itinéraire avance, il faut une incitation de la Région mais aussi des départements qui la composent ainsi que des départements limitrophes », résume Vincent Ruault, de la régie Europe de la Région Poitou-Charentes. Si l’échéance 2016 s’annonce pour l’heure « compliquée », l’étape d’après est d’ores et déjà connue : travailler sur la communication et la promotion, car « il y a une vraie attente des professionnels. »
Département de la Vienne. Selon Sophie Janot, responsable de la mission Développement durable et Territoires ruraux à la direction départementale des Territoires de la Vienne, les données viennoises ne sont, pour l’heure, « pas encore exploitables ». Une partie de l’EV3 passe sur des « voies départementales peu circulées où les infras-tructures existent donc en grande partie ». Si le tracé est toujours à l’état de « proposition » – passera par Poitiers ? passera pas ? –, le Dépar-tement joue sur le principe de transversalité, lui qui a installé en janvier 2013 un comité de pilotage vélo à l’échelon local, fort de quelque 80 participants liés de près à la question (collectivités, asso-ciations de cyclistes, Ademe…). Il fait ainsi en sorte que les équipements soient portés par les inter-communalités. Dix communautés de communes sont ainsi concernées par l’EV3.
Département de la Charente. L’EV3 traverse la Charente sur une diagonale nord-est/sud-ouest longue de 160 km [cf. V&T32]. Elle est bouclée avec la V92 et le Tour de Charente et s’articule autour de trois grands secteurs : la voie verte Coulée d’Oc à l’est, la voie verte Galope Chopine au sud et la traversée du Grand Angoulême entre les deux. L’ensemble représente un budget de
1 874 000 €, dont 515 000 sont à la charge du Département. « La traversée du Grand Angoulême en est au stade de l’amélioration. Le tracé y est d’ores et déjà jalonné. L’enjeu aujourd’hui consiste à améliorer le niveau de service », explique Stéphane Bauchaud, à la fois référent Plan Charente vélo à la direction des Routes et référent PDIPR au service Aménagement rural et Environnement du CG16. Si la jonction avec les voisins de la Vienne tarde à se faire au-delà de la commune de Confolens – du fait du décalage d’avancement respectif du projet EV3 dans les deux départements –, tout roule en revanche du côté de la jonction entre Galope Chopine et la Charente-Maritime, puisque la voie verte emprunte le tracé de l’ancienne voie ferrée reliant Barbézieux (Charente) à Saint-Marlens (Gironde). L’horizon 2016 ? « L’infrastructure devrait être opérationnelle à 98 %, poursuit le technicien. L’enjeu sera alors de mettre l’itinéraire en tourisme, notam-ment avec la V92 qui permet de faire le lien avec La Vélodyssée mais aussi, à terme, avec les Deux-Sèvres et le Limousin. La dynamique nationale de l’EV3 devrait nous aider en ce sens. »
Département de la Charente-Maritime. Intégrée au Schéma régional, l’EV3 traverse le sud du département sur près de 30 km. 15 km sont en voie verte, 15 autres en voie partagée. Le tracé de cette portion partagée n’est pas totalement arrêté. « Il s’agit d’effectuer un travail de cohésion avec le département de la Gironde pour garantir la meilleure continuité possible, précise Julie Guitard, chargée des Itinéraires, de la Signalétique et du Schéma départemental des véloroutes et voies vertes au sein du CG17. Une réflexion va être menée pour rechercher une éventuelle connexion avec l’itinéraire départemental de la rive nord de la Gironde. » Au nord, la jonction avec le département de la Charente s’effectue au niveau de la commune de Chevanceaux, où la voie verte jusqu’à Clérac a été ouverte en 2002. L’horizon 2016 ? « Le délai semble tenable », affirme Julie Guitard, qui doit composer avec le passage de la Ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux.
Région Aquitaine. La récente modification du Schéma régional n’a pas été sans conséquences sur le tracé de l’EV3, l’un des trois axes forts en Aqui-taine avec l’EV1 et la V80. L’EV3 en Aquitaine re-présente 524 km de linéaire, répartis comme suit : 160 km en Gironde, 89 km dans le Lot-et-Garonne, 162 km dans les Landes et 113 km dans les Pyrénées-Atlantiques. Et il faut ajouter un crochet de 4 km chez les voisins du Gers. Sur ces 524 km de linéaire, 185 km ont été réalisés (92 km en Gironde, 45 dans le Lot-et-Garonne, 15 dans les Landes et 33 en Pyrénées-Atlantiques). 339 km restent donc à aménager dont 147 sur le seul terri-toire des Landes, 68 km en Gironde, 44 km en Lot-et-Garonne et 80 km dans les Pyrénées-Atlantiques. Le tout représente un coût de 28 millions d’euros, dont 35 % sont à la charge de la Région. Les retombées économiques sont estimées en moyenne à 18 000 € par kilomètre, sur une fourchette allant de 11 000 € par kilomètre en Gironde à 24 000 € par kilomètre dans les Landes…
Dimension religieuse, pertinence de faire passer deux EuroVelo (EV1 et EV3) sur le même tracé, problématiques du contournement de la forêt landaise et du relief des Pyrénées-Atlantiques, choix entre la dimension jacquaire et l’aspect découverte du territoire, et réalité du terrain où « c’est celui qui paie qui décide » : l’EV3 en 2014 pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses et la solution d’un itinéraire provisoire sur le modèle de ce qui a été fait sur d’autres grands itinéraires semble doucement s’imposer. « L’échéance de 2016 nous semble difficile à tenir en sachant que 2014 est une année d’élections municipales, 2015 une année de régionales et départementales et que dans le meilleur des cas il faut compter dix-huit mois pour mener à bien la moindre étude d’impact. Le tracé annoncé est en effet celui qui figure au Schéma régional 2013, avec des posi-tionnements très affirmés de chacun des départements concernés », constate Isabelle Prévost, chargée de mission au service Tourisme du conseil régional d’Aquitaine.
Département de la Gironde. « Nous sommes en plein dessus », explique Jean-François Dessort, chef du service Tourisme au CG33. Le tracé girondin est complexe mais plus de 50 % de réalisations sont d’ores et déjà opérationnelles sur la base d’aménagements existants : la jonction entre le Lot-et-Garonne et la commune de la Brède, la piste cyclable Roger-Lapébie, en attendant 2015 et les efforts conjoints réalisés sur l’EV3 comme sur la V90…
Département des Landes. Les violons restent à accorder avec les voisins des Pyrénées-Atlantiques, voire avec la coordination natio-nale de l’EV3. Le hiatus ne concerne pas tant les étapes par Villeneuve-de-Marsan – dont la déclaration d’utilité publique est en cours -, Mont-de-Marsan ou Gabarret. Il ne concerne pas tant non plus la problématique des zones Natura 2000, en nombre considérable sur ce tracé en raison notamment de la présence d’une partie des 3 153 km² du Parc naturel régional des landes de Gascogne. Le hiatus concerne surtout le choix de la destination finale de la portion française de cet itinéraire européen. Là où les tenants de l’option jacquaire privilégient la direction de Saint-Jean-Pied-de-Port, les Landes souhaiteraient bifurquer plus tard à hauteur de la commune de Urt pour prendre la direction de Bayonne, sa gare et ses infrastructures plus propices à l’itinérance.
Département des Pyrénées-Atlantiques. Pour Laurence Pauly, chef du pôle Nouvelles Mobilités et Urbanisme à la direction de l’Aménagement, de l’Équipement et de l’Environnement au sein du CG64, l’EV3 en Pyrénées-Atlantiques souffre de deux handicaps : le temps et le tracé. À cela s’ajoute la récente révision du Schéma régional aquitain des VVV , intervenu au moment où « nous étions partis pour faire le jalonnement de l’EV3, poursuit Laurence Pauly. Le tracé a été légèrement modifié mais passe toujours là où nous le souhaitions, c’est-à-dire par Saint-Jean-Pied-de-Port. La prochaine étape consistera à réunir les communautés de communes concernées afin d’arrêter définitivement le tracé et de lancer le bureau d’études pour faire le plan de signalisation. Le délai ? J’espère avoir un peu plus de temps en 2015 ». Concernant enfin la participation financière, les élus locaux sont pour l’heure accaparés par les autres itinéraires. « Mais ça devrait venir, car nous avons un projet Saint-Jacques transfrontalier dont la définition démarre. »
En conclusion. Les partenaires du sud sont assez impliqués dans le projet et ont conscience que l’EuroVelo 3 constitue un attrait de plus pour leur territoire. Compatible jacquaire ou strictement autre chose ? La deuxième réunion du comité de pilotage de l’EV3 aura lieu en juillet. Elle permettra de définitivement acter le partenariat du comité d’itinéraire sur 3 ans et d’affirmer l’engagement des collectivités dans la dynamique nationale. Et justement, cette réunion se déroulera à Bor-deaux, au sud. Pour l’EuroVelo 3, l’important n’est peut-être pas tant la destination que le chemin qui y conduit.
Propos recueillis par A. D.