Jean-Pierre de Mondenard
Extrait de Vélo & Territoires 34
Le docteur de Mondenard est un stakhanoviste. « Pas de ciné, pas de théâtre, pas de resto. Je travaille et je pédale. » Ses rares vacances ? Sur une selle et à la montagne, toujours. Malgré une parenthèse de douze années pour se consacrer à son autre passion – le trail – ce médecin de 70 ans connaît le vélo et ses dérives comme personne.
Créateur en 1994 de la mythique rubrique Sur le front du dopage de la revue Sport & Vie, Jean-Pierre de Mondenard a beaucoup écrit sur ces questions et sur bien d’autres encore. Amoureux de la petite reine et des cols qui sentent bon l’acide lactique, il nous livre son regard sur une époque qui se dope. Très bénéfique.
• Quel type de cycliste êtes-vous ?
Je roule 100 km tous les deux jours, en général seul et de préférence l’après-midi. Cela représente quatre sorties hebdomadaires et 18 000 km par an. Par ailleurs j’écris beaucoup sur le vélo. Je collabore ou ai collaboré à seize revues cyclistes depuis quarante ans, à raison d’une demi-douzaine d’articles par mois. Mes écrits les plus connus concer-nent le dopage, mais ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Je suis médecin. Le cœur de mon travail porte donc sur la santé.
• Comment liez-vous les deux, le vélo et la santé ?
Devant un problème de pathologie lié à l’activité musculaire, beaucoup de médecins se contentent de prescrire des anti-inflammatoires et du repos. Combien de confrères recherchent vraiment le geste qui est à l’origine du mal ? C’est sur ce geste que j’entends travailler. C’est lui qu’il faut soigner en priorité – le reste n’est que la conséquence. Cette approche m’a d’ailleurs valu d’être considéré “inclassable” par une étude de la Sécurité sociale. L’essentiel de mes prescriptions contiennent en effet non pas des médicaments, mais de l’Elastoplast et des séances de kiné ! Le corps doit rester un partenaire, pas un adversaire. Être un bon médecin, pour moi, c’est à la fois savoir être pratique et avoir pratiqué. En clair, il faut avoir la main.
• Comment en êtes-vous venu à écrire sur le vélo ?
Il y a deux approches : en amont et en aval. Tout le monde sait que le tabac tue et pourtant 25 % des cardiologues fument. Pour moi, la prévention commence par montrer l’exemple. Le vélo est utilisé depuis longtemps pour la rééducation cardiovasculaire. Ses bienfaits en la matière sont reconnus. Dans les années 70, j’étais médecin sur le Tour de France et j’intervenais en parallèle auprès de l’Association des jeunes diabétiques (AJD), un organisme qui proposait des vacances éducatives à des enfants et adolescents insulinodépendants, dont ceux qui étaient sous ma responsabilité avaient 10 à 15 ans. J’ai introduit le vélo dans la maison temporaire de Vendôme (Loir-et-Cher) et nous avons commencé à effectuer des balades régulières. Chaque année, à la fin du mois, une sortie phare, de plus en plus longue, était proposée aux volontaires. La première année, à la fin du séjour, nous avons roulé 75 km d’une traite et la dose d’insuline dont avaient besoin ces adolescents a chuté de 100 unités à 25. Au bout de trois ans, lors de la sortie cycliste de fin de vacances, nous avons roulé 200 km en une journée et ces mêmes ados ont réussi à effectuer le parcours sans leur dose quotidienne d’insuline. C’était la démonstration qu’une activité d’endurance telle que le vélo facilitait le passage du glucose dans la cellule malgré la carence en insuline. L’AJD était dirigée par le professeur Henri Lestradet, une référence sur les questions du diabète juvénile. C’est lui qui, au vu de ces résultats, m’a encouragé à publier dans la presse médicale mais aussi grand public.
• Comment organisez-vous vos journées pour concilier toutes vos activités ?
Je me lève à 6 heures. Je commence par une revue de presse… à ma façon. Je recherche des faits, des dates, des noms et des substances. Et j’archive tout cela, de sorte que j’ai chez moi l’équi-valent de la Bibliothèque nationale sur les sujets qui m’intéressent… En faisant cela, je ne me vois pas comme un Don Quichotte, mais plutôt comme un décodeur. J’ai la chance d’être médecin, pratiquant et historien du dopage. Cette triple casquette me donne les outils pour décoder les mensonges permanents liés à ces questions. Et puis je pars rouler tous les deux jours. Ça oxygène l’esprit !
• Le déballage de ces dernières années concernant le dopage ne participe-t-il pas du climat de désenchantement souvent associé à notre époque ? Et ce climat autour du vélo sportif ne rejaillit-il pas sur le vélo tout court ?
Je ne crois pas. Le public qui se masse au bord de la route pendant le Tour de France ne vient pas uniquement pour l’épreuve sportive. Il vient aussi et souvent avant tout pour le spectacle de la caravane et pour sortir la grand-mère. Et puis je vais vous dire une chose : j’ai monté en août dernier le mont Ventoux (1 912 m). Lorsque je le montais dans les années 80, personne ne me dépassait et je ne dépassais personne car il était très peu fréquenté par les adeptes de la petite reine. Cet été, lorsque je suis arrivé au sommet, je me suis cru en pleine heure de pointe du côté de la place de la Concorde ! Alors, je me suis renseigné auprès de l’office du tourisme. En été, il grimpe désormais environ 650 cyclistes par jour sur ces pentes ! Le désamour est donc tout à fait relatif, même s’il est vrai qu’à l’inverse je vois moins de monde sur les routes de Seine-et-Marne et
que les audiences télé n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient avant l’affaire Festina… Les gens informés font la part des choses. Ils ne roulent plus pour ressembler à ceux qu’ils ont vu. Ils roulent pour voir à quoi ça ressemble de rouler.
• Contre le dopage, tout reste encore à faire…
La lutte antidopage est une défaite permanente. Depuis ses débuts au milieu des années 60, elle a toujours été larguée par les dopeurs. La réalité, c’est que de nombreuses substances res-tent encore indécelables. Ou celles qui sont décelables aujourd’hui sont restées indétectables par les radars analytiques pendant plusieurs décennies. Le dopage est un masque. Un masque d’amphétamines pour repousser la fatigue, un masque d’antalgiques pour nier la douleur, un masque d’ÉPO pour suroxygéner le sang. Ce masque, je veux le voir tomber et c’est un travail de fourmi. Le bilan d’une année de contrôles antidopage positifs recense une quarantaine de substances sur les quelque 300 qui sont interdites. Ma question est : où sont les 260 autres ? N’apparaissent-elles pas parce que personne n’y touche ou parce que nous ne savons pas encore les détecter ? Lorsque je raisonne dans l’absolu, je ne peux que constater qu’au fil des quelque
cinquante années de lutte, le dopage n’a fait que croître. Mais cette hausse ne touche pas que le sport. C’est toute la société qui est concernée par la médicalisation. Est-ce que pour autant mes prises de position contre le dopage dès le début des années 70, et pendant plus de quatre décennies, n’ont servi à rien ? Je ne le crois pas. Nous sommes sortis des années d’omerta. Elle est sans doute là, la victoire. Pour le reste, la lutte antidopage ne progressera pas tant qu’elle sera aux mains du monde du sport. Or, en 2014, la chasse aux tricheurs est toujours dans le giron des instances fédérales internationales et nationales. A-t-on déjà vu dans une entreprise une même personne cumuler les fonctions de PDG et de délégué syndical ?
Propos recueillis par A. D.