Raphaël Krafft
Journaliste indépendant, né à Paris en 1974. Raphaël Krafft réalise reportages et documentaires pour la plupart des radios publiques francophones, tout particulièrement pour France Inter et France Culture, ainsi que pour des stations anglo-saxonnes auprès desquelles il s’est initié au reportage radiophonique à la faveur d’un premier voyage à vélo de près de deux années qui l’a conduit de la Terre de Feu jus-qu’aux États-Unis. D’autres voyages et reportages ont suivi, tant en France, notamment à vélo, qu’à l’étranger, dans les Balkans, au Moyen-Orient, en Afrique noire et dans les Amériques. Auteur de “Un petit tour chez les Français“ (coédition Bleu autour / France Culture, octobre 2007) et de “Un petit tour au Proche-Orient“ (coédition Bleu autour / France Inter, mai 2008) publié suite à l’émission “Roue libre“ diffusée sur France Inter (été 2008).
- Qui, de votre démarche journalistique et du vélo, est au service de l’autre ?
Le vélo est au service du reporter. Sans être un mordu de la bicyclette, je considère que c’est un outil très adapté à la pratique d’un journalisme itinérant. Il permet de parcourir suffisamment de kilomètres pour passer d’une région à une autre dans un temps raisonnable, avec la possibilité de transporter tout le matériel nécessaire à la production de reportages multimédia. Le vélo place le journaliste au niveau du territoire qu’il traverse et des habitants qui l’habitent. Il permet de franchir plus facilement le pas des portes. Sa démarche suscite la curiosité de celui ou celle qui l’accueille chez lui pour un verre d’eau, un café voire le gîte et le couvert : d’où venez-vous ? Où allez-vous ? Combien pèse votre vélo ?, etc., lui demande-t-on toujours. Après s’être ouvert à l’autre, le journaliste cycliste paraît moins intrusif et obtient plus facilement un format de parole différent de celui que proposent les médias traditionnels. Il est plus intime et parfois plus authentique. De plus, mes interlocuteurs ont souvent du mal à croire que je suis un journaliste, ils ne me prennent pas au sérieux. Ils craignent donc moins de se confier.
- Vous citiez Riszard Kapuscinsky dans une précédente interview…
Oui, j’aime l’empathie que manifestait ce journaliste polonais face aux sujets qui se présentaient sur sa route et la capacité qu’il avait à embrasser le destin des hommes qu’il croisait. Il travaillait avec très peu de moyens, dans le dénuement presque, ce qui le mettait au niveau de ses interlocuteurs et l’obligeait à emprunter ces chemins de traverse où se passent souvent les choses les plus intéressantes. Cette fragilité qu’il avait dans l’exercice de son métier manque au journalisme du XXIe siècle.
- Si le vélo donne ce surcroît de temps après lequel tout journaliste court, la multiplicité des rencontres ne génère-telle pas son lot de frustrations au moment de repartir ? Comment gérez-vous l’après-rencontre ? La mélancolie des au revoir ? Les correspondances ? Provoquez-vous les retrouvailles ou laissez-vous, là aussi, faire le hasard ?
Ce que vous décrivez est le lot de tous les voyageurs, qu’ils soient ou non à vélo. Voyager, c’est une succession de hauts et de bas, de rires et de larmes, de froid et de chaud. Lorsque l’on quitte quelqu’un qu’on a aimé, qui nous a touché ou dont on est même peut-être tombé amoureux, on sait que demain sera fait d’autres rencontres, d’autres joies. C’est un sentiment étrange, unique aussi, cette douleur de la séparation qui se mêle à la joie du départ. Comme une drogue. Je fais mon possible pour envoyer au moins une carte postale à ceux qui m’ont accueilli, mais je n’en revois que très peu.
- N’avez-vous jamais éprouvé la tentation du navigateur Bernard Moitessier, cet appel à sortir de l’itinéraire prévu pour n’y plus revenir ?
Ça m’est arrivé à plusieurs reprises et notamment lors d’une traversée des Amériques à vélo. Lors de mon étape à Cusco au Pérou, je rencontre un routard que je convaincs d’acheter un vélo pour m’accompagner. Plutôt que de continuer sur la Panaméricaine, nous décidons sur un coup de tête de traverser les Andes puis l’Amazonie pour rejoindre la mer des Caraïbes, où nous retapons un voilier pour poursuivre l’aventure avec les vélos au fond de la cale…
- De retour de reportage, comment vivez-vous l’inévitable décalage ressenti vis-à-vis de “ceux qui ne sont pas partis“ ? Les émissions et les livres suffisent-ils pour se décharger
de tant de souvenirs ?
Non, je ne me sens pas en décalage. Je ne ressens pas ce besoin d’afficher ma singularité face à ceux qui ne partent pas. C’est toujours un plaisir de rentrer, j’aime la France, j’aime Paris où je vis avec mes proches.
- Dans un poème de 1963, Théodore Monod comparait l’humanité à une termitière et s’interrogeait sur le but et la fin de nos courses incessantes. Entre les pays sensibles et les reportages à vélo, quand estimerez-vous être arrivé à destination ?
Théodore Monod s’interrogeait sur l’humanité dans son ensemble et non pas sur le voyageur en particulier. La destination ? Je ne sais pas. Je suis reporter, pas seulement voyageur. Je crois que je garderai encore longtemps cet appétit d’aller vers l’Autre et de raconter des histoires.
Propos recueillis par Anthony Diao