Didier Tronchet
Né Didier Vasseur il y a 52 ans à Béthune, journaliste de formation et auteur de bandes dessinées à l’humour mor-tifiant – les aventures de Jean-Claude Tergal ou de la pathétique famille Poissard, c’est lui – Tronchet vit depuis 2008 en Equateur. Également comédien et réalisateur, il a publié en 2000 un “Petit traité de vélosophie“, OVNI littéraire poétique et militant.
- Onze ans ont passé depuis le Petit traité de vélosophie. Si vous deviez le réécrire aujourd’hui, que changeriez-vous ? Que conserveriez-vous ?
Rien n’a changé, ni ne changera au plaisir de faire du vélo et au voyage intérieur qu’il suscite. Donc je ne retirerais rien. J’y ajouterais sans doute, maintenant qu’une partie du combat a été gagnée pour faire entrer le vélo dans les grandes villes, quelques réflexions sur la nécessité de rester “citoyen“, de respecter le partage de ces nouveaux territoires, d’éviter l’arrogance, pour préserver cette harmonie particulière qu’apporte le vélo autour de lui.
- En termes de mentalités, qui des cyclistes ou des automobilistes ont parcouru le plus de chemin tout au long de ces onze années ?
Les automobilistes ont beaucoup évolué. Ils ne considèrent plus les cyclistes comme des intrus ou des obstacles, mais sentent bien qu’il s’agit de personnes qui contribuent à changer la ville, par des moyens pacifiques et non polluants. Mais pas d’angélisme : il restera toujours les irréductibles et agressifs partisans du “tout voiture“. Peut-être finiront-ils par admettre qu’ils ne vont pas dans le sens de l’Histoire. Patience, donc !
- Vous vivez aujourd’hui à Quito, en Equateur. Quelles seraient les grandes lignes d’un Petit traité de vélosophie, version locale ?
Juste dire : bon courage! Ici c’est la terre des volcans. Tout monte et descend de façon abrupte.
Bon courage aussi, car il n’y a aucun respect pour le vélo, c’est la jungle automobile dans toute son horreur. Les Equatoriens sont des gens adorables sauf au volant, où ils deviennent fous – une caricature de ce que nous avons connu en Europe.
Quel rôle l’humour peut-il jouer dans la sensibilisation à la cause cyclable ? Auriez-vous
des exemples ?
Rester détendu et distancié, c’est la clé du succès en ville. Quand je me fais insulter par un automobiliste, je lui renvoie un sourire et un « bonne journée à vous aussi ! ».
- À l’instar du personnage de Prunelle dans votre BD “Ça n’arrive qu’à moi“, quels travers relevez-vous le plus fréquemment dans le comportement des adeptes du vélo ?
Se croire encore “hors la loi“ et mépriser les règles. On pouvait le faire au temps où rien n’était prévu pour le vélo et qu’il fallait inventer son chemin. Mais à présent que des aménagements ont été offerts aux cyclistes – ce n’est qu’un début ! -, je pense qu’il faut se montrer irréprochables et courtois vis-à-vis des piétons et voitures, désarmer leur méfiance ou leur agressivité par une manière de vivre la ville amicale et solidaire. Et nous aurons gagné.
Extrait du “Petit traité de vélosophie“ (éditions J’ai lu, 2000)
« Chez d’aucuns, le souvenir des premières amours est lié à la banquette arrière des voitures. Chez moi, il est lié au vélo. À ces folles quêtes d’un endroit où exprimer nos embrasements folliculaires post-adolescents. Chez elle, il y avait son père, et chez moi, ma mère. Deux impasses. Alors nous sillonnions la nature environnante dans l’espoir d’une cachette naturelle. Mais le plat pays qui est le mien n’en proposait pas beaucoup. Il fallait pédaler longtemps. À l’entrée de ce champ que nous avions finalement trouvé, nous avons couché nos deux vélos, avant d’en faire de même dans une tranchée plus loin. Deux vélos à l’entrée d’un champ, c’est l’un des plus beau symbole d’amour que je connaisse. Un vélo masculin, avec la barre au milieu, un vélo féminin, sans barre et avec forcément du goûter pour deux dans un petit panier sur le porte-bagage. (Le concept éminemment enfantin de “goûter pour deux sur le porte-bagage“ est chez moi indissolublement lié à l’idée du bonheur : son contenu mystérieux et prometteur de chocos BN ou autres tartines de fraise est une image de paix qu’aucune menace de guerre nucléaire ne saurait assombrir, l’emblème secret d’une union indéfectible avec un autre être sur cette planète et qui vous comprend.) Cette signalétique amoureuse, plus efficace encore qu’un panneau routier, nous a d’ailleurs trahis. Le fermier qui est venu nous déloger, sensible lui-aussi à l’image des deux vélos couchés dans l’herbe, mais ne l’associant pas pour autant à une expression de l’amour universel, nous livra manu militari son décodage personnel. Enfourchant nos machines à la diable, je rappelai au spectateur de l’émission “Des chiffres et des lettres“ qu’il était peut-être, en manière d’astuce sé-mantique réconciliatoire, qu’après tout “vélo “ était l’anagramme de “ love “. L’homme n’avait pas la télé ou n’était pas anglophone ; je perdis un ami potentiel dans cette campagne désormais hostile, mais gagnai l’admiration de ma belle, éblouie par cette ultime saillie, verbale cette fois. »
Propos recueillis par Anthony Diao