Gilbert-André Perrin
Ingénieur en électronique ; né le 30 juillet 1940 à Yverdon (Suisse) ; professeur de sciences à Papeete de 67 à 71 ; réalisateur, puis directeur adjoint à la Télévision belge de 71 à 95 ; premier président et administrateur des “Chemins du Rail“, association belge pour la préservation des lignes ferroviaires désaffectées et la promotion de leur aménagement en chemins pour les usagers non motorisés ; cofondateur et premier secrétaire du comité de direction de l’Association européenne des Voies Vertes ; auteur de plusieurs ouvrages et nombreuses études sur les voies vertes ; cycliste urbain ; cycliste itinérant dès que l’occasion se présente.
Voici treize années que notre association est impliquée dans des réflexions et des études sur les aménagements pour les usagers non motorisés, en particulier au travers de divers projets de la
Région wallonne ou de nos relations interna-tionales. Au cours du temps, nous avons eu mille occasions d’entendre ce qu’il ne fallait surtout pas faire pour que nos aménagements soient bien adaptés aux usagers visés. Il nous a semblé important de vous faire partager cette science dont la profondeur est souvent insondable…
Règle n° 1 : surtout pas d’asphalte (de bitume, d’hydrocarboné, de béton…).
« Le vélo, c’est non polluant, donc proche de la nature. Le vélo ne doit donc pas agresser la nature. Il ne faut donc pas “asphalter“ ». CQFD. En d’autres termes, la voiture étant de toute manière polluante, on peut continuer à polluer en lui offrant des routes indurées. Le vélo, par contre, doit faire preuve d’une parfaite virginité. Dans notre région, il existe déjà 70 000 km de voiries indurées. Avec une moyenne de 6 m de large, nous arrivons à une surface de 420 km². Pour le réseau wallon des voies vertes, la longueur à indurer sera de l’ordre de 1200 km. Avec une largeur moyenne de 2,6 m, il représentera une surface de 3,1 km², soit 0,7 %. On voit tout de suite d’où vient le danger.
Règle n° 2 : surtout pas d’autoroute à vélos. Lors d’un projet d’aménagement d’une ancienne ligne de chemin de fer, une participante a demandé que la largeur de la piste ne dépasse pas 1,5 m « pour éviter de créer une autoroute ». Impossible donc de se croiser sans mettre pied à terre. Voilà de quoi favoriser largement la pratique du vélo dont on prétend qu’il est un bon outil de santé publique et de mobilité non polluante ! De quelle “autoroute“ parle-t-on lorsqu’elle mesure 2,5 m au lieu de 30 m, qu’elle n’accueille pas de voitures, qu’on y roule à 15 ou 20 km/h au lieu de 130 et qu’on se dit bonjour au passage ? Les slogans sont, hélas, souvent plus forts que la réflexion.
Règle n° 3 : ne pas perdre de temps avec des détails. Si une voie verte traverse une chaussée, évitez d’abaisser ou de tailler en biais les bordures en béton ou en pierre que le cycliste devra franchir. Ainsi, il fera quelques sauts de puce sur ces petits obstacles, ce qui l’amusera beaucoup. Lorsque nous avons relevé ce “détail“ lors de la visite d’une voie verte, on nous a répondu que le cycliste pouvait parfaitement se débrouiller dans une telle situation puisque le piéton le fait bien. Nous avons alors demandé pourquoi, juste à côté, on avait abaissé une telle bordure pour faciliter l’accès des voitures à un parking. Le vélo, c’est pas sérieux…
Règle n° 4 : créer, aux accès, des chicanes si étroites et si tortueuses que le cycliste devra mettre pied à terre, voire porter son vélo. Ainsi, on empêchera peut-être les motos de passer (encore que, dans la plupart de nos observations, un passage pirate se créée rapidement à côté). Mais on découragera sûrement une mobilité cyclable quotidienne et facile. Autant pénaliser les usagers que l’on dit vouloir encourager plutôt que d’effectuer, de temps à autre, des contrôles pour sanctionner les usages non souhaités.
Règle n° 5 : puisque le vélo est un mode “doux“, il faut lui réserver une signalisation discrète, pas trop grande, pas trop voyante. En Wallonie, nous avons adopté des panneaux de 40 x 60 cm pour inclure le symbole des usagers, deux ou trois lignes de texte de 50 mm de haut et une flèche
directionnelle. D’aucuns trouvent ces panneaux trop grands et trop “routiers“. Il est par contre normal, pour les voitures, d’avoir des lettres de 120 mm de haut et des panneaux de plusieurs m². Le cycliste n’a qu’à s’arrêter à chaque carrefour pour chercher sa destination, non ?
Règle n° 6 : surtout pas trop de panneaux. Lors de la préparation d’un plan de signalisation sur une voie verte, un participant se demandait pourquoi signaler un village pour les piétons et les cyclistes. En effet : « il n’y a rien à y voir, sinon un étang de pêche ». Remarque : s’il n’y a aucun intérêt à indiquer ce village pour les piétons et les cyclistes, pourquoi est-il signalé par un panneau routier sur la voirie qui le contourne ? Peut-être parce qu’à vélo, on ne circule que pour
« aller voir des choses »… Jamais pour aller porter un colis, ou rendre visite à quelqu’un, ou voir une maison à vendre ? Le vélo, ce n’est vraiment pas sérieux…
En conclusion : je voudrais dire mon admiration et mon appui à toutes celles et à tous ceux qui font en sorte que le cycliste bénéficie d’aménagements vraiment adaptés à ses besoins, en dehors de tout préjugé et de tout slogan. Je me réjouis de toutes les occasions qui nous permettront de collaborer encore sur ce sujet qui nous tient à cœur. Et tant pis pour ceux qui continuent à penser et à agir comme si le vélo n’était pas sérieux.
Anthony Diao