Près de deux Français sur trois habitent à moins de 20 minutes à vélo d’une gare ferroviaire. Preuve, s’il en fallait, du potentiel immense de l’intermodalité vélo-train comme alternative de transport crédible à la voiture individuelle. Condition essentielle, le développement de stationnements sécurisés en gare pour les vélos a été introduit dans la loi dès 2019, puis traduit dans un décret en 2021. Dès lors, une course contre-la-montre s’est engagée pour équiper un tiers des gares du territoire en stationnements sécurisés pour les vélos avant le 1er janvier 2024. À quelques semaines de l’échéance, il est évident que cet objectif ne sera pas atteint dans le temps imparti. Ce constat préoccupant à l’échelle nationale masque des dynamiques contrastées dans les territoires. La parole à trois régions pour mieux comprendre la réalité du terrain.
2024, tournant indispensable de l’intermodalité vélo-transports collectifs en France
Publié dans le sillage de la Loi d’orientation des mobilités (LOM), le décret n° 2021-741 du 8 juin 2021 liste 1 133 gares, soit 31 % de l’ensemble des gares ferroviaires du territoire, soumises à l’obligation de se doter de stationnements sécurisés pour les vélos avant le 1er janvier 2024. Pour chaque gare, le décret fixe un nombre minimum d’équipements à atteindre. Ce seuil, allant de 10 à 1000 places, est calculé en fonction de la fréquentation journalière entrante de chaque gare. Au niveau national, un minimum de 75 891 places de stationnement doivent donc être mises en place avant l’échéance du décret. Aujourd’hui, on estime qu’un peu plus de 30 000 places de stationnement sécurisé sont déjà déployées sur les 1 133 gares concernées. L’année 2024 va-t-elle marquer un tournant pour l’intermodalité vélo-train ? Comme l’indique le tableau de bord de suivi du stationnement sécurisé en gare de Vélo & Territoires, les objectifs du décret ne sont atteints ou dépassés que dans environ 400 gares du territoire. Près de deux tiers des gares concernées n’atteignent donc pas encore leurs objectifs. Malgré ce constat préoccupant, la situation varie fortement selon les régions. Dans certains territoires, de vastes programmes de déploiement de stationnements en gare avaient déjà été engagés avant la parution de la loi. D’autres régions se sont emparées plus tardivement du sujet, mais sont aujourd’hui largement mobilisées pour rattraper leur retard.
Stationnement sécurisé, kézako ?
Au sens du décret d’application de la LOM, ces équipements doivent obligatoirement permettre de stabiliser et de fixer le vélo par deux points. Par opposition aux stationnements « libres » (arceaux, lices ou appui vélos), ils doivent aussi bénéficier d’un système de fermeture sécurisée, de surveillance humanisée ou de vidéo-surveillance. Par ailleurs, le décret précise que les stationnements doivent être situés dans des endroits couverts, éclairés et implantés à moins de 70 m d’un accès à la gare, sauf en cas d’impossibilité technique avérée.
La concertation au cœur de l’action sur le stationnement en région Bretagne
Le développement du vélo en Bretagne bénéficie d’une dynamique très favorable. Un premier plan pour la mise en place d’un « système vélo breton » a été voté fin 2022 et devrait aboutir en octobre 2024. Au cœur de cette stratégie : le développement de l’intermodalité et notamment du stationnement des vélos en gare. « Par le passé le sujet du vélo était considéré comme un problème plutôt qu’une ambition », explique Sylvain Gouillet, chef de projets Gares et Plan vélo à la Région. « Et ce notamment à cause de la demande exponentielle d’emport de vélos à bord des TER. En réponse, nous avons commencé dès les années 2010 à déployer du stationnement sécurisé dans les gares. »
Forte de cette expérience et d’une ambition politique rehaussée pour le vélo, la Bretagne a déployé rapidement une offre de stationnement intermodale. Elle figure désormais parmi les « bons élèves » français sur le sujet : 86 % des gares concernées par le décret LOM sont équipées de stationnements sécurisés pour les vélos à ce jour. Une offre qui bénéficie d’un support billettique performant. « Nous avons la chance en Bretagne d’avoir lancé dès 2003 le déploiement de la carte KorriGo », rappelle Sylvain Gouillet. « Cette carte permet de charger les titres de transport des réseaux BreizhGo, ainsi que d’un grand nombre de services de transports urbains du territoire. » Grâce à un travail de concertation initié il y a plus de vingt ans avec toutes les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) du territoire, cette carte donne aussi accès à une large gamme d’équipements publics, dont 100 % des abris sécurisés collectifs pour les vélos en gare du territoire. Un véritable atout pour les usagers et pour la collectivité.
Mais le déploiement du stationnement vélo dans les gares de Bretagne ne s’est pas fait sans son lot de difficultés. Comme pour les autres régions, la Bretagne s’est heurtée à des contraintes d’urbanisme et des retards de livraison des équipements. Autre difficulté : le manque de ressources humaines disponibles chez SNCF Gares & Connexions pour travailler sur la maîtrise d’ouvrage des projets d’abris sécurisés. Enfin, certains retards ont été causés par des projets de pôles d’échanges multimodaux importants. Ces derniers intègrent certes une offre conséquente de stationnement sécurisé, mais tardent à sortir de terre.
« Aujourd’hui la principale difficulté est que nous n’avons aucun moyen de savoir si les abris déployés sont utilisés ou non », témoigne Sylvain Gouillet. « La commande de l’État était de déployer le plus rapidement possible une offre de stationnements en gare, mais rien n’a été prévu sur le suivi et l’évaluation des abris déjà mis en place. » Après la mise en œuvre du stationnement, un chantier tout aussi important attend donc les régions aux côtés de l’État et de SNCF Gares & Connexions afin de s’assurer que les équipements sont correctement suivis et entretenus.
Le stationnement, clé de voûte du système intermodal en région Pays de la Loire
La politique intermodale de la région Pays de la Loire est largement reconnue grâce à son « Train Loire à Vélo », mais elle ne se résume pas à ce dispositif. « Notre objectif est de faire en sorte que tous les habitants de la région puissent accéder aux gares et aux points d’arrêts routiers autrement qu’en voiture individuelle », explique Xavier Duval-Zack, chef de projet Mobilités actives à la Région. Dans un contexte d’augmentation constante de la fréquentation des axes ferroviaires du territoire – le réseau ligérien transporte chaque jour 50 000 personnes et souhaite passer à 60 000 dans un futur proche – cela constitue un véritable challenge pour la Région. « Qui dit plus de personnes dans les trains dit aussi plus de vélos. Et comme nous n’avons pas la possibilité d’embarquer les vélos de tout le monde, nous réfléchissons à d’autres leviers. » Parmi eux, la Région a notamment développé une aide à l’achat de vélos pliants à destination des abonnés du réseau TER Aléop. Le déploiement de consignes sécurisées pour les vélos figure également parmi ses principaux axes de travail. « Nous avons commencé à déployer du stationnement sécurisé en gare dès 2003 », précise Xavier Duval-Zack. « Grâce à la LOM, nous avons bénéficié de nouveaux financements et accéléré le mouvement. »
Aujourd’hui, plus de 90 % des gares concernées par le décret LOM sont équipées en stationnement sécurisé. La totalité des gares ligériennes – y compris celles qui ne sont pas ciblées par la LOM – devraient bénéficier de ces équipements d’ici 2025. Côté accessibilité, les stationnements sont gratuits et ouverts à tous grâce à un système de badge physique ou virtuel, pour les personnes abonnées ou non au réseau TER. « Notre difficulté est que dix ans après la mise en place de ce système, les gens pensent toujours qu’un abonnement est nécessaire pour accéder aux consignes », déplore Xavier Duval-Zack. « Nous avons donc un enjeu à travailler sur la communication pour qu’un plus grand nombre d’usagers se saisissent du service. » Autre enjeu : le suivi de l’utilisation des consignes. « Nous avons développé avec SNCF Voyageurs un outil qui nous fait remonter chaque jour le nombre de badgeages de chaque site de stationnement », explique Xavier Duval-Zack. « Cela nous permet d’estimer la fréquentation de chaque équipement, mais ce n’est pas encore totalement optimisé. Il serait intéressant de disposer d’une méthode nationale sur le sujet. »
Le stationnement en gare n’étant que l’une des composantes de l’intermodalité, les axes de travail de la Région vont plus loin. Parmi les principaux chantiers, un service de location courte durée en gare est en cours de réflexion. Par ailleurs, un nouveau règlement d’intervention prévoit de soutenir le déploiement d’équipements aux points d’arrêts des cars routiers et scolaires afin notamment d’inciter les collectivités locales à se mobiliser sur le sujet de la mobilité scolaire à vélo.
La nouvelle ambition pour le stationnement en gare de la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur
Le Plan vélo de la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur, voté en 2020, fixe des objectifs ambitieux comme l’achèvement des 2 060 km du Schéma régional des véloroutes en 2025 ou le doublement de la fréquentation sur les neuf véloroutes du territoire. Après la consultation de tous les acteurs du territoire, cette ambition a été rehaussée en octobre dernier. L’objectif de cette stratégie renouvelée est de travailler sur le vélo de façon systémique à l’échelle de la région afin de faire du vélo un mode de déplacement direct, rapide et pratique dans la mobilité du quotidien. Cinq axes de travail sont identifiés : le développement des infrastructures, l’intermodalité, la culture vélo, l’organisation des acteurs et l’information des usagers. La Région souhaite ainsi toucher un public plus large que les personnes déjà convaincues.
L’intermodalité vélo-train est l’un des nouveaux fers de lance de la Région, qui aura équipé l’ensemble de son matériel ferroviaire pour l’emport de vélos d’ici la fin de l’année 2023. Côté stationnement, si la Région n’est pas la plus avancée dans l’atteinte des objectifs de la LOM – 39 des 60 gares concernées ont aujourd’hui atteint ou dépassé leurs objectifs – elle est celle qui enregistre la plus forte progression. À l’échelle de l’ensemble des gares du territoire, pas uniquement celles ciblées par la LOM, une vingtaine de gares équipées en stationnements vélo a été comptabilisée avant 2021. Aujourd’hui, plus d’une centaine de gares disposent de consignes sécurisées et la Région a pour objectif d’équiper la totalité de ses 145 gares d’ici fin 2024. Un effort important consenti par la Région en lien avec les EPCI du territoire, qui ont systématiquement été concertés en amont des projets pour déterminer la meilleure implantation des équipements au regard des flux et des projets environnants. Côté accessibilité, les stationnements sont gratuits et ouverts à tous grâce à leur carte de transport. En complément, la Région développe depuis deux ans avec SNCF Gares & Connexions un système permettant aux titulaires d’un titre de transport TER papier ou numérique d’accéder gratuitement aux consignes sécurisées. Grâce à un double système d’accès pouvant lire les badges et les QR codes présents sur les billets, les usagers bénéficient d’un accès libre aux consignes de leurs gares d’origine et de destination à l’échelle de la région. Un système mis en = service sur une cinquantaine de gares pour l’instant, mais qui a vocation à être généralisé sur tout le réseau TER régional.
La suite ? Comme ses homologues, la région Sud s’interroge sur le suivi de la fréquentation de ses équipements. Un système de capteurs sera testé en 2024 pour mesurer l’utilisation de quelques consignes. En parallèle, une expérimentation sur trois ou quatre gares sera mise en place visant à identifier les besoins des cyclistes dans leur parcours, du parvis de la gare jusqu’au quai. Par ailleurs, la Région lancera en décembre une campagne de communication afin d’expliquer l’utilisation des équipements de stationnement auprès des usagers à l’aide des tutoriels accessibles via un QR code.
La mise à disposition de solutions d’intermodalité adaptées et de stationnements, notamment en gare, est un ingrédient essentiel pour amplifier la pratique cyclable et le système vélo en France. Si les objectifs du décret d’application de la LOM ne seront assurément pas atteints au 1er janvier 2024, le dialogue est désormais ouvert entre les usagers, l’État, les opérateurs, les aménageurs et les propriétaires fonciers. La situation varie selon les régions, mais elles sont toutes à pied d’œuvre pour proposer une offre stationnement en gare complète et attractive. Plus encore, elles œuvrent pour le développement de nouveaux services vélo qui, associés au stationnement, offrent de nouvelles alternatives crédibles à l’emport des vélos dans les trains du quotidien. L’atteinte des objectifs de la LOM en termes de stationnement sécurisé n’est qu’une étape : il sera nécessaire d’aller plus loin pour faire du vélo le meilleur allié du train. Vélo & Territoires se tient aux côtés de ses collectivités adhérentes pour les accompagner dans cette démarche en faveur d’un vrai système intermodal.
Antoine Coué
Les limites de l’exhaustivité des données
Les chiffres présentés sont issus : d’une part des données transmises par SNCF Gares & Connexions, résultant des opérations de recensement réalisées en interne, ou remontées directement par les collectivités auprès des DREAL ; d’autre part des données transmises par Île-de-France Mobilités et disponibles ici en OpenData. Ces différentes données résultant parfois de méthodes de recensement divergentes, Vélo & Territoires ne peut garantir leur exhaustivité. Il est probable qu’une partie des stationnements sécurisés du territoire ne soit, pour l’instant, pas comptabilisée. Améliorer la qualité du recensement du stationnement en gare doit donc rester une priorité.