Mobilité scolaire à vélo
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°64
Inscrit par le comité interministériel à la sécurité routière dans la catégorie des savoirs fondamentaux à acquérir avant l’entrée au collège, le vélo est, au même titre que la natation, un enjeu à la fois sécuritaire, sanitaire et électoral. Avec l’adoption début 2018 du programme Savoir Rouler à Vélo, 850 000 écoliers sont à terme appelés à être formés chaque année. Retour sur les tenants et aboutissants de ce qui devrait progressivement s’imposer comme un élément de transformation sociétale majeur, de l’élémentaire à l’université.
Si les enfants représentent l’avenir d’une société, leur expérience précoce de la mobilité est devenue, sous nos latitudes, un levier avéré pour leur santé, leur attention en classe et, à plus vaste échelle, leur conscientisation et leur comportement de futurs citoyens. La convergence d’intérêts entre ce « mouvement en mouvement » que constitue aujourd’hui l’écomobilité d’une part, et le milieu scolaire qui en est le cadre incitatif et collectif le plus évident, d’autre part, a souvent été abordée dans nos colonnes (cf. notamment Vélo & Territoires, la revue n°62, février 2021), au même titre qu’elle est dûment documentée sur Mobiscol, le portail de ressources alimenté par le Club des villes et territoires cyclables et l’association Vivacités Île-de-France. La justesse de la cause n’étant plus à prouver, quid de sa mise en pratique ? Dit autrement, comment une collectivité peut-elle intervenir et accompagner au mieux la mobilité scolaire à vélo ? Question subsidiaire : cet apprentissage doit-il d’ailleurs se limiter aux années CP-CM 2 ou, comme de plus en plus de retours d’expériences tendent à le montrer, se poursuivre jusqu’aux années collège, lycée, voire au-delà ?
Intrication
Le 4 juin 2021, au lendemain de la Journée mondiale de la bicyclette, le déploiement du programme Savoir Rouler à Vélo faisait l’objet d’un riche webinaire coordonné par Vélo & Territoires en partenariat avec le ministère des Sports. Signe des temps : Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, y glissait un mot de bienvenue rassurant quant à la prise en compte visiblement sincère à l’échelle d’une institution itinérante aussi colossale que le mastodonte économique, logistique et humain dont il a la responsabilité, de la nécessaire intrication entre « mobilité du quotidien et pratiques plus spectaculaires ». Au qualificatif éculé d’« exemplaire », il préférait celui de « bande-annonce » – celle d’un avenir teinté de ce volontarisme vertueux dont se prévalent désormais des structures que, il n’y a encore pas si longtemps, beaucoup estimaient hors sol, voire étanches à ces considérations.
Premier repères
Une chose est de vouloir emmener les enfants de 6 à 11 ans vers ces dix heures de formation au « savoir pédaler », « savoir circuler » et « savoir rouler ». Autre chose est d’avoir le bon mode d’emploi. Dès décembre 2018, le Cerema avait listé dans une fiche les points-clés à respecter pour réussir une démarche globale d’écomobilité scolaire : « 1) Créer une synergie d’acteurs autour du projet : responsables d’établissement, enseignants, parents d’élèves ; 2) évaluer et communiquer sur les résultats pour garantir la pérennité de la démarche ; 3) encourager les gestionnaires à adapter l’espace public pour les modes actifs en créant des aménagements adaptés ; 4) ne pas se limiter aux déplacements domicile-école, mais agir sur l’ensemble des déplacements liés à la vie scolaire ; 5) organiser la démarche autour d’un plan de déplacement d’établissement scolaire (PDES) ».
Des chiffres et des êtres
Trois années, un dispositif national et une crise sanitaire plus loin, les recommandations ont
encore gagné en clarté. À l’écoute du webinaire de Vélo & Territoires et du ministère des Sports, ainsi que des différents retours d’expériences rapportés du Morbihan, de la Haute-Savoie, de la
Loire et même de La Réunion, une méthodologie à garder en tête semble aujourd’hui se dégager
pour chaque collectivité soucieuse d’amorcer concrètement et en confiance ce virage sociétal
et pédagogique. Elle fait écho à des tendances relevées en Belgique, en Écosse, en Norvège, aux Pays-Bas ou en Suisse, sur lesquelles la FUB est revenue dans un webinaire de mars 2021. Cette méthodologie pourrait être résumée à la façon des fameux « cinq W » (« Who ? What ? When ? Where ? Why ? ») qui prévalent, chez les journalistes anglo-saxons, au moment d’amorcer la rédaction du moindre article. Quels sont les moyens financiers et humains à mobiliser ? Qui fournit les bicyclettes ? Comment les entretenir, les stocker et les transporter d’un site à l’autre ? Où faire rouler en sécurité les enfants à chaque étape de leur progression ? Et sur quel temps : scolaire ? Périscolaire ? Extrascolaire ? Enjeu pour celles et ceux que Claire Toubal, chargée de mission Formations à la FUB, entend aussi inclure dans le dispositif d’accompagnement CEE Génération vélo : former entre 100 000 et 150 000 écoliers en année 1, 200 000 en année 2 et 250 000 en année 3 soit, à l’échelle hexagonale, une moyenne de dix écoles par collectivité à mobiliser. Un défi de taille, heurté de plein fouet par le Coronavirus – 30 000 attestations Savoir Rouler à Vélo avaient été délivrées aux écoliers début juin, ce qui reporte beaucoup d’attentes sur le second semestre 2021 et le premier semestre 2022. Mais un défi qui conserve en ligne de mire l’horizon joliment résumé par Joan Laidebeur, directrice des Sports et de la vie associative à la ville de Rumilly (Haute-Savoie) : envisager le vélo comme mode de déplacement, mais aussi comme « activité physique réutilisable dans le quotidien ».
Economies, justement
Le financement est au départ organisé autour des collectivités, des établissements scolaires et du milieu associatif. Un choix qui montra vite ses limites, le Coronavirus venant de surcroît se greffer par-dessus. En avril 2021, le programme Génération vélo annonce débloquer grâce aux certificats d’économie d’énergie une manne de 21 millions d’euros. Un coup de pouce sans doute décisif pour permettre au Savoir Rouler à Vélo d’enclencher la deuxième, à charge pour les acteurs locaux de s’en saisir et surtout d’en définir les contours concrets au moyen d’une charte départementale de déploiement. Comme le rappelle Olivier Schneider, président de la FUB, dans les colonnes de La Gazette des communes, ce montant obéit à un double enjeu de formation des intervenants – objectif 6 000, dont « un quart de professionnels et trois-quarts de bénévoles ou de volontaires, dans le cadre des services civiques » – et de financement des interventions.
Comment sensibiliser les sensibilisateurs, à savoir les parents, mais aussi les encadrants ?
Tous deux sont en première ligne pour convaincre les écoliers de délaisser la banquette arrière de
la voiture familiale et privilégier le grand air et les mille micro-décisions formatrices à prendre chaque matin sur quelques hectomètres à peine, et ce avant même que ne retentisse la cloche de
8 h 30. C’est dans cette optique que, par exemple, la Métropole européenne de Lille a élaboré, en collaboration avec l’Éducation nationale et le Centre de ressource en écomobilité, un livret pédagogique clé en mains à destination des enseignants et des animateurs « pour permettre
une sensibilisation à la fois pédagogique et ludique du jeune public, tout en faisant le lien avec les
apprentissages fondamentaux définis dans les programmes scolaires », ainsi que le développe
Judicaël Potonnec de l’ADAV (Association Droit au vélo) au cours d’une intervention remarquée lors d’un webinaire de la FUB en avril 2021 autour du déploiement du Savoir Rouler à Vélo en France. L’éveil et la montée progressive en compétences des enfants se fait sous forme de jeux, de discussions et, in fine, d’un challenge final sanctionné par des bons points et un diplôme.
Permettre une sensibilisation à la fois pédagogique et ludique du jeune public, tout en faisant le lien avec les apprentissages fondamentaux définis dans les programmes scolaires.
L’entrée en Sixième marque-t-elle l’arrêt de toute possibilité d’intervention en matière d’écomobilité ?
Formulé autrement : un enseignant ou un intervenant motivé doit-il être dissuadé d’être force de proposition dès lors que le public concerné a dépassé l’école élémentaire ? Non, à en juger par exemple par cette action initiée depuis 2001 au collège du Lazaro à Marcq-en-Baroeul (Nord) et qui concerne environ 140 élèves de niveau Cinquième. Initialement organisée pendant la journée « En ville sans ma voiture », l’action se déroule depuis sur deux jours pendant la Semaine européenne de la mobilité. Plateau de maniabilité, initiation à l’entretien des bécanes, rappel
des règles et sensibilisation (en camion !) aux dangers de l’angle mort, le programme est pointu… La mobilité scolaire à vélo passe aussi par le stationnement. En Loire-Atlantique, trois collèges se sont vus dotés de nouveaux locaux vélo. Financés pour partie par le programme Alvéole, ils se situent dans l’enceinte des établissements et rendent possible « un stationnement sécurisé et abrité tant pour les collégiens que pour les professeurs et le personnel », explique Héloïse Plaut, chargée d’études à la direction des infrastructures du Conseil départemental. Par ricochet, cette démarche induit notamment une meilleure prise en compte du stationnement vélo en amont de la programmation des constructions, voire des réhabilitations de collèges, etc. Même ligne directrice enfin du côté du lycée Baggio de Lille où une vingtaine d’élèves de Première Euro mixte ont eux-mêmes coordonné un Lille-Brighton à vélo. Avantage collatéral ? L’important travail de préparation du voyage renforce le bagage transdisciplinaire des élèves : français et anglais pour les prises de contact, mathématiques pour le budget, histoire-géo pour la découverte du patrimoine… et EPS bien sûr pour l’effort cycliste proprement dit.
Conduite de projets en équipe, renforcement de l’autonomie, de la confiance en soi et des liens au sein de la communauté éducative : les liens du vélo sont éternels
Le bas-côté et ses à-côtés
À Lyon, quatre millions d’euros ont récemment été investis par la Métropole pour mettre en circulation d’ici 2025 et en location longue durée 10 000 vélos d’occasion reconditionnés, à destination exclusive des 18-24 ans, en particulier les étudiants boursiers et les jeunes adultes en parcours d’insertion socio-professionnelle logés ou hébergés sur le territoire de la métropole. La même volonté de donner un supplément d’âme à un cursus académique prévaut dans le travail de
préparation effectué par des lycéens du Pas-de-Calais lors d’une exposition de sensibilisation aux bienfaits du vélo. Idem pour les défis inter-primaires, inter-collèges et inter-lycées organisés d’un établissement à l’autre dans le Grand Est – avec tolérance pour les VAE « du personnel enseignant, administratif ou technique » des établissements concernés -, ou dans la démarche initiée en 2018 au lycée polyvalent Charles de Gaulle à Lacroix-Saint-Ouen dans l’Oise. Là encore, le cœur du projet n’est plus la maîtrise de l’outil cyclable à proprement parler. Il est dans la mobilisation des lycéens pour effectuer des repérages et élaborer un cahier des charges à destination des décideurs locaux, afin de les convaincre de la nécessité d’aménager des voies cyclables et des stations de location de vélos en libre-service à proximité de leur établissement. Conduite de projets en équipe, renforcement de l’autonomie, de la confiance en soi et des liens au sein de la communauté éducative : les liens du vélo sont éternels, et pédaler n’est définitivement plus la seule façon d’avancer grâce à lui. Le vélo à l’école nécessite une intervention pratique sur le terrain. Cette composante essentielle du système vélo dépendra du choix des collectivités à s’y engager. À commencer par le déploiement du Savoir Rouler à Vélo. Une commune, un département, une région, un territoire à la fois.
Anthony Diao