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Ateliers chantiers école : pour que tout roule enfin

Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°64

Il y a quelque chose de très noble dans cette démarche qui consiste à explorer toutes les ramifications et les potentialités d’un mode de déplacement actif pour réparer par le travail des existences qui, jusqu’alors, l’étaient moins. Explications.

Foyer Notre-Dame des Sans-Abris ©DR

Le très ergonomique site web www.chantierecole.org est on ne peut plus clair. « Le réseau Chantier école, acteur de l’économie sociale et solidaire, est né en 1995 de la volonté d’hommes et de femmes du secteur de l’Insertion par l’activité économique de regrouper les chantiers d’insertion afin de mutualiser leurs compétences et leurs méthodes autour de valeurs communes. À ce titre, l’association Chantier école, réseau des entreprises sociales apprenantes, vise à développer la professionnalisation des acteurs, capitaliser, diffuser les bonnes pratiques de ces derniers, accompagner la mise en oeuvre des politiques publiques, développer et porter un plaidoyer en faveur des modèles que nous défendons. » En 2021, le réseau regroupe 750 adhérents. Il se compose en majorité d’associations et de collectivités, lesquelles portent à un peu plus de 1 300 le nombre actuel d’ateliers conventionnés répondant à ce format. Aujourd’hui, de nombreux chantiers école misent sur le vélo. L’avis favorable de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, émanation du ministère du Travail, de l’emploi et de l’insertion sur le projet « Appui à la création et au développement de projets de mobilité solidaire sous forme d’ateliers et chantiers d’insertion sur l’ensemble du territoire national » traduit également cette mobilisation.

Notre métier, c’est d’abord l’insertion par des emplois durables.

Un axe parmi d’autres

« Le dispositif représente au total une quinzaine de délégations régionales et 35 000 salariés en parcours, détaille Jean-Luc Lecomte, responsable des Modèles, du développement et des partenariats économiques de la structure. Ce terme désigne les titulaires d’un CDD d’insertion d’une durée de quatre à vingt-quatre mois, auxquels il faut ajouter 6 000 permanents, c’est-à-dire en CDI. La mobilité y est un axe de travail parmi d’autres, au même titre que le bâtiment, le numérique, les services à la personne, le maraîchage ou l’économie circulaire. » Ces structures sont subventionnées à hauteur de 70 % par des financeurs publics – principalement l’État puis, selon les orientations politiques des territoires, le département, la région, les intercommunalités
ou les communes. Ayant une compétence sur la formation, certaines régions financent elles-mêmes lesdites formations, tandis que d’autres favorisent la manne des entreprises.

Durabilité de l’emploi

Voilà pour le socle. S’agissant du cycle, « l’insertion par l’activité économique arrive en un, les chantiers d’insertion en deux et le vélo en trois » distingue Marion Jouffe, déléguée régionale depuis 2014 du chantier école Bretagne. Le cœur nucléaire de la démarche reste identique : accueillir les personnes les plus éloignées de l’emploi, celles réputées les moins productives ou qui ne se voient confier que des travaux ne nécessitant ni diplôme, ni expérience. « Nous, notre métier, c’est d’abord l’insertion par des emplois durables, affine la technicienne. C’est à ce titre-là que l’État et le département nous financent. La proposition s’ajuste ensuite en fonction des besoins du territoire. »

Freins et barrières psychologiques

Depuis leur lancement il y a un quart de siècle, les créneaux environnementaux ont toujours eu
le vent en poupe. Le modus operandi est rôdé : d’abord proposer aux collectivités d’entretenir ici
les espaces verts d’une mairie, là le sentier de randonnée d’une communauté de communes… Assez vite pourtant, la question de la mobilité est identifiée comme l’un des principaux freins à
l’insertion. « Le groupe Mobilité existe depuis 2007 », poursuit la Bretonne, marquée par l’expérience de la barrière psychologique observée auprès de travailleurs refusant catégoriquement de s’engager sur l’imposant pont de Saint-Nazaire pour se rendre au travail qui leur était proposé. « Au départ il s’agissait de fédérer les directeurs et les spécialistes des structures Mobilité afin d’outiller ceux que l’on nommait les ‘permanents’ et qui sont en réalité des
accompagnateurs socio-professionnels. Ce sont eux qui, au quotidien, sont en première ligne sur l’élaboration et l’avancée des projets socio-professionnels. Eux aussi cherchent à lever les freins à l’insertion que sont les paramètres de garde d’enfants, de budget ou, ici, de mobilité. L’enjeu pour nous est donc d’apporter un kit clé en main et professionnaliser nos experts autour de thématiques comme les garages solidaires, les ateliers vélo, le transport à la demande…».

Expertise

C’est en 2018 que s’opère le point de bascule. « Sous l’impulsion de notre président Emmanuel Stephant, nous avons pris la décision de nous focaliser sur ces fameux ateliers vélos. Étant pionniers sur le sujet, nous en avions un nombre déjà conséquent avec une expertise d’ingénierie susceptible de répondre aux enjeux institutionnels et environnementaux du moment. » L’enjeu ? Pousser les portes des collectivités, développer le potentiel économique des adhérents, décloisonner, et ce mot d’ordre à destination des élus : « Vous avez des besoins, nous avons un savoir-faire ». Côté accompagnants, être au fait des dernières évolutions devient une nécessité. D’où la mise en place de formations dispensées sur trois jours, voire de la possibilité d’acquérir le titre de conseiller en mobilité. Récent rapport du GIEC ou non, l’État est de plus en plus sensibilisé aux sujets liés à l’économie sociale et solidaire. Il met donc d’autant plus volontiers la main à la poche et a même récemment incité tout le secteur de l’Insertion par l’activité économique à « doubler les parcours ». Fin août, le projet « Appui à la création et au développement de projets de mobilité solidaire sous forme d’ateliers et chantiers d’insertion sur l’ensemble du territoire national » a ainsi reçu un avis favorable de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, émanation du ministère du Travail, de l’emploi et de l’insertion. Il permettra d’accompagner une trentaine de porteurs de projet mobilité.

Notre mobilité n’est pas que physique. […] Elle est aussi psychologique, mentale.

Devenir un réflexe

« La crise sanitaire a questionné la mobilité comme réponse à des sollicitations territoriales », observe Jean-Luc Lecomte, sur fond de Loi d’orientation des mobilités et de compétence mobilité des intercommunalités. De là ce questionnement, formulé à voix haute par le chef de projet : « Comment travailler ensemble, communiquer auprès de ces collectivités, leur dire qu’il existe des réseaux comme le nôtre qui ont un savoir-faire en matière d’ingénierie ? » Gagner en notoriété, devenir un réflexe, voilà tout l’enjeu des mois et années à venir. Comment ? En proposant un accompagnement aux porteurs de projet souhaitant essaimer ou diversifier leurs activités via ce recours aux ateliers vélo. Cet accompagnement par le repérage des bonnes pratiques se décline de façon collective à l’échelon national, et individualisée au niveau local. « Notre mobilité n’est pas
que physique, conclut Jean-Luc Lecomte. Elle est aussi psychologique, mentale. Comment et pourquoi je me déplace ? Le sujet de la réparation du vélo est aussi une porte d’entrée pour un questionnement plus vaste, plus intime, plus profond

Eurêka Emploi Services dans l’Ille-et-Vilaine ©DR

Exemple n°1 – Eurêka Emploi Services (Ille-et-Vilaine)

Trois questions à Sandra Lion, directrice adjointe de cette structure d’insertion par l’activité économique créée en 1991.

  • À quel public s’adresse Eurêka Emploi Services ?

Nous cherchons à favoriser l’accès à l’emploi des personnes en recherche dans le cadre d’un processus d’insertion utilisant la mise en activité salariée, associée à des actions d’accompagnement. Les demandeurs d’emploi nous sont orientés par des partenaires de l’emploi (Pôle emploi, Cap emploi, Centre départemental d’action sociale, Mission locale, points Accueil emploi…).

  • Pourquoi et comment le vélo s’est-il intégré à votre offre ?

Cela s’est fait graduellement depuis 1993. En 2016, à l’occasion d’une expérimentation sur la réduction et la valorisation des déchets avec le Syndicat mixte intercommunal de collecte et traitement des ordures ménagères Centre-Ouest, nous avons démarré une activité de récupération de différents matériels, dont les vélos, auprès de quelques déchetteries de notre territoire. L’idée de donner une seconde vie à ces nombreux vélos s’est alors imposée. Elle nous permettait de développer de compétences variées chez nos salariés en insertion. Nous avons alors déposé la Cycloyen-cyclo citoyen et, en 2017, avons été lauréats du premier Prix régional de l’Innovation. Imaginez : un objet destiné à devenir déchet devient une ressource ! Malgré le Covid, la mobilisation de nos bénévoles nous a ainsi permis de vendre 225 vélos sur rendez-vous en 2020.

  • Quelles perspectives le vélo ouvre-t-il à terme ?

Annuellement, cette activité de réemploi permet de collecter vingt tonnes de flux, de revendre près de 250 vélos et 200 outils et matériels pour un montant des ventes allant de 15 à 20 000 euros. À terme, nous espérons ouvrir une recyclerie multi-flux pour notamment répondre plus facilement à la forte demande constatée pour l’acquisition de vélos d’occasion. Enfin, la conseillère mobilité de notre association veille à proposer régulièrement à nos salariés le prêt ou l’achat de vélos pour se déplacer, mais aussi éventuellement l’aide à l’apprentissage du vélo, la recherche d’aides financières pour l’acquisition, etc.

Exemple n°2 – Foyer Notre-Dame des Sans-Abris (Métropole de Lyon)

Trois questions à Vincent Chevallier, responsable site et réemploi objets au sein de cette structure lyonnaise

Comment le vélo s’inscrit-il dans les actions que vous proposez ?

L’un de nos objectifs est de permettre à nos stagiaires de s’ouvrir à d’autres horizons, tant socialement que professionnellement. Le vélo est un vrai levier pour cela. C’est un moyen de les former à la réparation, mais aussi de leur apprendre à se déplacer en ville. Ce sentiment d’utilité est important pour un public accidenté de la vie comme le nôtre, parfois au bord de la rupture sociale avec des parcours personnels marqués par l’isolement, la déscolarisation, le passage par la case prison ou des difficultés d’accès ou d’intégration liées aux mouvements migratoires. Collecter, démanteler, reconstruire : le vélo est au cœur d’un processus d’acquisition des compétences. Il permet de retrouver des repères en équipe, de la confiance en soi, de relier savoir-faire, savoir-vivre et savoir-être. Nous réparons autant les vélos que les humains. Et il arrive que nos apprenants deviennent à leur tour formateurs, par binômes.

Comment cela se concrétise-t-il ?

Depuis cinq ans nous proposons des ateliers d’adaptation à la vie active et des ateliers chantiers d’insertion. Ils ont lieu par demi-journée, à raison de quinze heures par semaine, avec un encadrement technique d’insertion. Quatorze stagiaires et quatre personnes en CDD d’insertion hébergés dans nos centres d’hébergement d’insertion procèdent dans ce cadre à l’entretien et à la remise en état de vélos récupérés en déchetterie ou issus de dons de particuliers auprès des vingt-cinq points de dépôt dont nous disposons auprès des commerçants de Lyon.

Quels sont les débouchés ?

Les précaires, les étudiants et leur budget serré, les militants et leur choix du recyclage par conviction forment le cœur des acheteurs que nous recevons dans notre atelier Bric à Bike à Lyon. En 2020, nous avons vendu 400 vélos à prix solidaire, soit 25 000 euros de recettes. C’est encourageant car, si la Métropole de Lyon nous soutient au niveau de l’investissement et de l’équipement, nous sommes encore en recherche d’un modèle économique pérenne.

Propos recueillis par Anthony Diao

Vélo & Territoires, la revue