Le département du Nord
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n° 55
Après les revues n°20, en décembre 2009 et 37, en novembre 2014, c’est la troisième fois que Vélo & Territoires se penche sur la politique cyclable du Nord. Qu’est-ce qui a changé depuis l’adoption, le 29 juin 2018, du Schéma départemental cyclable ? À quoi aspire cette collectivité, la plus peuplée de France, dont l’histoire et surtout la géographie ont permis d’affiner la sensibilité sur le sujet ? La parole est aux intéressés.
Entretien Patrick Delattre,
Chargé de mission vélotourisme et voies vertes à la Direction des solidarités territoriales et du développement local du Conseil départemental du Nord
D’où partiez-vous au moment de la réunion du Conseil départemental du 29 juin 2018 ?
À cette date, qui est celle où fut adopté notre Schéma actuel, notre territoire comptait 4 430 km de routes départementales. Sur celles-ci, 408 km bénéficiaient d’aménagements cyclables non latéralisés, soit un total de 711 km linéaires d’aménagements cyclables latéralisés (droite et gauche) répartis en 507 km de bandes cyclables et 214 km de pistes cyclables. Par ailleurs 90 km de voies vertes et 21 boucles cyclotouristiques, mises en oeuvre dans le cadre de notre Plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée de 2008, venaient compléter ce dispositif, lequel occasionnait une fréquentation de 54 000 usagers par an en moyenne dont 22 000 cyclotouristes.
Quel est l’objectif du Schéma départemental cyclable de 2018 ?
Le nouveau schéma départemental cyclable du Nord vise à offrir une meilleure lisibilité à toutes les politiques vélo existantes sur le département, tout en répondant à une demande grandissante. Ce qu’il nous manquait jusqu’ici ? Essentiellement de la transversalité. Le but était de tout regrouper et de relancer une synergie qui demeurait à l’état transitoire depuis quelques années, les limites de financement étant ce qu’elles sont.
Quels sont les axes majeurs de ce schéma ?
Nous nous appuyons sur le réseau de voirie et les aménagements existants tout en nous inscrivant dans une dynamique de développement. L’accent est mis autant sur l’aspect touristique que sur l’aspect utilitaire, en lien non seulement avec les schémas régionaux, nationaux et européens mais aussi avec les itinéraires et réseaux transfrontaliers. Nous composons à la fois avec les données existantes, les perspectives d’aménagement et une analyse fournie par l’ADAV sur la cyclabilité des itinéraires. Il en résulte deux types de réseaux distincts. L’un est traversant, l’autre irriguant.
Qu’entendez-vous par ces deux termes ?
Le premier, le réseau traversant, est essentiellement cyclotouristique. Il concerne les itinéraires permettant une traversée sécurisée du Département, tout en étant reliés aux territoires voisins. Le second, le réseau irriguant, s’y rattache et recouvre quant à lui le maillage de proximité. C’est ici qu’interviennent notamment les réseaux points-nœuds que nous évoquerons plus loin. Le Département s’implique pour les liaisons de rabattement nécessaires vers le réseau traversant, ainsi que pour les liaisons intercommunales de moins de cinq kilomètres hors agglomération. Dernière nuance : bien que soumis aux intercommunalités, le réseau traversant a vocation à être exhaustif tandis que le réseau irriguant a, lui, vocation à se préciser dans le temps.
Qui assure la maîtrise d’ouvrage de ces aménagements ?
Le département du Nord assure les aménagements sur les routes départementales hors agglomération et sur les voies vertes départementales. En dehors des communes urbaines, nous nous occupons également du jalonnement du réseau points-nœuds ainsi que de la signalisation directionnelle du réseau traversant, et ceci par souci d’homogénéité et de garantie du respect
des différents gabarits.
Comment s’organise le financement ?
Nous avons sanctuarisé un budget minimum de 1,5 million d’euros par an. Un tiers provient de l’enveloppe consacrée aux projets de développement local de la voirie, un autre de celle que la Direction des solidarités territoriales et du développement local dédie à l’aménagement et au jalonnement des voies vertes, des véloroutes et des points-nœuds à vélo, et enfin les derniers 500 000 euros viennent des projets territoriaux structurants portant sur la mobilité cyclable.
De par sa situation géographique, le département du Nord est également concerné par les itinéraires européens…
En effet, trois EuroVelo traversent notre territoire : l’EuroVelo 3 – La Scandibérique, entre Jeumont et Anor, que nous pilotons ; l’EuroVelo 4 – La Vélomaritime entre Gravelines et Bray-Dunes, qui est pilotée par la Communauté urbaine de Dunkerque ; et l’EuroVelo 5 – Via Romea entre La Bassée et Halluin, qui est pilotée par la Métropole européenne lilloise. C’est autour de ces trois grands itinéraires transfrontaliers que le projet Eurocyclo a été lancé pour quatre années. Il comprend le déploiement de voies vertes dédiées à la pratique du vélo autour des EuroVelo 3, 4 et 5, ainsi que la mise en place du dispositif réseaux points-nœuds.
Qu’est-ce que ce fameux réseau points-nœuds, justement ?
Ce concept, traduit du terme flamand « Knooppunten », vient des Pays-Bas et de la Belgique. Héritage de la signalisation utilisée autrefois dans les mines de charbon, c’est un système de maillage constitué de tronçons de un à cinq kilomètres, matérialisé par es panneaux identiques à ceux de nos voisins. Ce réseau, soutenu par le FEDER, permet d’établir son itinéraire librement à travers un territoire donné, sur des centaines de kilomètres, d’une balise directionnelle à la suivante. Et comme le réseau est praticable dans les deux sens, les possibilités sont infinies. La Wallonie picarde compte ainsi 1 600 km d’itinéraires balisés. Le 29 mars, nous avons inauguré le tout premier réseau points-nœuds cyclable français. Il se situe sur le secteur qui relie la vallée de la Lys aux monts des Flandres, et représente 800 km de parcours et plus de 2 500 panneaux. Trois autres réseaux devraient compléter le maillage, le prochain sera inauguré en mars 2020 dans l’Avesnois.
Les cafés rando sont un autre concept spécifique au Nord. De quoi s’agit-il ?
Tout est parti en 2006 des cafetiers en Flandre. Ils souhaitaient davantage de communication autour des activités de plein air et de randonnée. Pour la faire courte, même les pieds crottés, un randonneur est toujours le bienvenu dans leurs établissements, et ils entendaient le faire savoir ! Ces doléances rejoignaient un des objectifs de notre feuille de route « Tourisme », où figurent un soutien aux territoires ruraux via le maintien des commerces dans les villages, ainsi que le souci de répondre aux demandes des différentes clientèles de l’itinérance. Cela a abouti à la création en 2016 d’un label local, de chartes d’engagement et d’une brochure dédiée. Nous comptons aujourd’hui une trentaine de cafés rando en Flandre intérieure et, depuis février 2019, 24 autres au sein des parcs naturels régionaux de l’Avesnois et de Scarpe Escaut. Ils sont un vrai lieu d’échanges avec les propriétaires et d’animations autour du patrimoine. Sur ce volet, notre objectif est la montée en qualification du réseau ainsi que son extension.
Entretien Patrick Valois,
Vice-président du département du Nord en charge de la ruralité et de l’environnement
Quels sont pour vous les enjeux du Schéma départemental cyclable 2018 ?
D’abord il y a le regard qui est porté sur nous. Pour les services de l’État, le Nord est volontiers rangé dans la catégorie des départements urbains et industriels. En réalité il s’agit d’un département mixte : il y a un arc minier, des communautés urbaines, c’est le plus grand département de France en terme d’habitants mais c’est également un pôle de territoires ruraux. Sociologiquement, ce dernier élément nous oblige à composer avec un sentiment d’abandon de certaines populations, sentiment qui se traduit parfois par des votes extrêmes. Pour chaque politique menée, l’enjeu est donc d’essayer de la décliner et de la traduire en solidarité humaine. Le vélo en fait pleinement partie.
Vos interlocuteurs sont-ils faciles à convaincre ?
Et comment ! Vous savez, lorsque les élus doivent se rendre à l’Hôtel du département de Lille pour nos réunions, ils ne peuvent que constater la part considérable de l’autosolisme dans les embouteillages qu’ils rencontrent sur la route. En tant que responsables, nous nous devons de penser collectivement à des alternatives. Le tout est d’être coordonnés et pragmatiques, car chaque décision locale a des incidences au niveau des EPCI, de l’agglomération, de la Région, du Schéma national, etc.
Un mot sur le futur Plan de mobilité en milieu rural et son volet en faveur des mobilités douces ?
La thématique des mobilités est vaste. Sur ce sujet précis, un cabinet d’études vient de nous rendre ses conclusions et il est encore prématuré de se risquer à des annonces. Il en ressort pour l’heure plusieurs pistes de réflexion concernant notamment l’accès aux collèges, à l’emploi, l’accès aux services pour les personnes âgées ou à handicap, etc. Le vélo à assistance électrique a aussi été identifié comme l’un des enjeux de ces questions. Jacques Brel parlait de « plat pays » mais tout n’est pas plat chez nous, loin de là ! Pour être efficients, une piste à envisager serait donc d’implanter des bornes de recharge à proximité des sites culturels ou des espaces naturels sensibles… Au fond, ce qu’il est important de retenir, c’est que du vélo à la culture en passant par la randonnée, tout se relie. À nous d’apporter de la cohérence.
De par leurs avancées considérables en matière cyclable, considérez-vous vos voisins belges et néerlandais comme intimidants ou stimulants ?
Stimulants ! Si je prends l’exemple des réseaux points-nœuds, une bonne partie de la Belgique est déjà maillée et cela nous motive d’autant. Nous venons d’inaugurer fin mars le premier réseau de ce genre en France, ce sera ensuite le tour de l’Avesnois puis du littoral L’idée c’est que d’ici cinq ou six ans l’ensemble de notre territoire soit couvert. Cette continuité à venir avec la Belgique est d’autant plus bénéfique qu’elle nous ouvre la perspective d’associer à la démarche nos voisins du Pas-de-Calais. Les voir mettre en place leur propre réseau, c’est sortir de la logique de concurrence pour tendre vers celles de la complémentarité et de l’échange. Cela renvoie d’ailleurs à l’apport fondamental du programme Interreg et des itinéraires EuroVelo sur notre territoire, puisque ces derniers constituent aujourd’hui la colonne vertébrale de notre schéma cyclable. Ces partenariats durables avec nos voisins immédiats, à terme, c’est du gagnant-gagnant.
Trois questions à Marie-Laure Picque,
Chargée de développement touristique, correspondante Flandre et chargée du tourisme en famille au sein de l’Agence de développement et de réservation touristiques du Nord
Où en est le label Accueil Vélo© sur le territoire du Nord ?
Nous avons débuté la sensibilisation des prestataires en fin d’année 2018. Six sont aujourd’hui labellisés et dix autres sont inscrits dans la démarche. L’enjeu est d’avoir des Accueil Vélo® le long des parcours aménagés pour les vélos, c’est-à-dire sur le premier réseau points-nœuds « Vallée de la Lys & Monts de Flandre », inauguré le 29 mars 2019, puis sur les suivants. Ceux-ci seront réalisés en 2021 et parallèlement le long des tronçons aménagés des EuroVelo 3 et 4.
Pourquoi un lancement si tardif par rapport à d’autres collectivités françaises ?
Tout simplement parce qu’il n’y avait jusqu’alors pas assez d’aménagements. Statutairement, la marque nationale Accueil Vélo® ne pouvait être pilotée et évaluée par Nord Tourisme qu’une fois mis en place le Schéma cyclable départemental. Nous avons obtenu la délégation pour labelliser au deuxième semestre 2018 et c’est un processus qui prend du temps.
L’inauguration le 29 mars du premier réseau points-nœuds est donc un premier jalon…
Oui car ce que nous recherchons avant tout, ce n’est pas le nombre de prestataires Accueil Vélo®, mais bien une qualité de services et d’accueil. Et cette qualité, elle a aussi à voir avec la diversité des prestataires : restaurateurs, loueurs, offices de tourisme, etc. À terme, nous espérons que l’Avesnois soit intégralement couvert, puis le Nord de la Flandre.
En savoir + : https://lenord.fr
Trois questions à Michel Anceau,
Directeur de l’Association Droit au vélo
Quelle influence a eu l’ADAV sur l’élaboration de la politique cyclable départementale ?
Nous travaillons en partenariat avec le département du Nord depuis 2006 et une convention triennale lie nos deux structures. Notre expertise d’usage est reconnue et nous participons à des réunions de travail avec les services du Département pour étudier conjointement les propositions d’aménagements. Historiquement, la politique du Département a toujours été volontariste. Elle visait à systématiser les aménagements cyclables dans toutes les réfections de route. De notre côté, à chaque changement politique, nous tenons à rencontrer les nouveaux élus en charge de ces questions, pour créer du lien et partager notre approche. Suite aux dernières élections, la majorité départementale a changé. La politique cyclable antérieure a été remise en cause du fait notamment de l’absence d’un réseau continu. Nous avons ainsi proposé de valoriser à la fois le tourisme et l’utilitaire en intégrant ces deux approches dans un même schéma d’itinéraires cyclables. Jusqu’à présent il existait peu de liens entre les aménagements de type voies vertes et ceux classifiés d’utilitaires. Cette mutualisation des itinéraires a séduit le nouvel exécutif, et nous avons travaillé ensemble pour élaborer ce nouveau schéma des itinéraires cyclables, adopté le 29 juin 2018. Cela tombait à pic car notre partenariat triennal arrivait alors à échéance.
Qu’est-ce qui fait que, assez rapidement, votre discours est devenu audible ?
Pour la première fois, nous proposions de combiner au maximum vélotourisme et déplacement utilitaire, à l’image de ce qui se fait déjà avec succès en Alsace. Le but était de limiter les coûts et d’offrir une vision départementale d’itinéraires continus, en mesure de relier les principales villes et de permettre la découverte du patrimoine touristique. Au lieu de systématiser les aménagements cyclables le long des routes départementales les plus importantes, nous avons proposé de valoriser les voies où la cyclabilité permet, sans aménagement particulier, d’accueillir un itinéraire cyclable et d’identifier les routes et les points durs (franchissements d’autoroutes, de voies ferrées, de canaux, carrefours complexes) où il est nécessaire de sécuriser les déplacements des cyclistes par des aménagements spécifiques.
Notre credo, c’est de penser globalité et continuité. Permettre, à partir des centres-villes, d’accéder aux voies vertes en sécurité, utiliser ces dernières également comme support pour les déplacements quotidiens… Pendant un an et demi, nous avons effectué un travail conjoint avec les services du Département pour cartographier des itinéraires traversants entre les principales villes du département, en privilégiant au maximum les opportunités le long des voies d’eau. C’est ainsi que sont apparues les notions de réseaux traversant puis irriguant, les derniers visant à densifier les premiers en les dirigeant vers des pôles générateurs de type gares TER. Ce n’est seulement qu’une fois ceci amorcé que nous avons commencé à nous occuper de la question des points difficiles du type entrée des villes. Aujourd’hui nous rencontrons les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) avec le Département pour mutualiser les investissements et mettre en oeuvre, nous l’espérons rapidement, les premiers itinéraires.
Sur quoi restez-vous particulièrement vigilants aujourd’hui ?
Notre souci constant de valoriser à la fois le tourisme et l’utilitaire a intéressé beaucoup d’élus, notamment par rapport aux contraintes liées aux acquisitions foncières ou à la Loi sur l’eau. À présent les choses sont enclenchées, l’heure est au vélo à assistance électrique, à la dynamisation des terres rurales ou aux réseaux points-nœuds… Attention toutefois à ce que l’accent mis sur ces derniers ne phagocyte pas toute l’attention, au détriment par exemple des grands itinéraires.
Propos recueillis par Anthony Diao